RECOMMANDATIONS de la COMMISSION EUROPEENNE pour un REVENU MINIMUM ADEQUAT

RECOMMANDATIONS de la COMMISSION EUROPEENNE pour un REVENU MINIMUM ADEQUAT

La Commission européenne (CE) a publié le 28 septembre 2022 une proposition de recommandation du Conseil européen (drc) en anglais pour inciter les Etats-membres à « moderniser leurs régimes de revenu minimum », qu’elle définit comme « des paiements en espèces [sous condition de ressources et non contributives] aidant les ménages qui en ont besoin à combler l’écart jusqu’à un certain niveau de revenu pour pouvoir payer les factures et vivre dignement…, généralement complétés par des prestations en nature donnant accès à des services et à des incitations ciblées [pour] accéder au marché du travail.  », soit l’équivalent en France de plusieurs allocations comme le RSA(-socle) et la prime d’activité et des services associés.

Le droit à un « revenu minimum adéquat » constitue le principe 14 du socle européen des droits sociaux, adopté en 2017.

Ce « revenu minimum » ne doit pas être confondu, en France en particulier, avec le salaire minimum de croissance (SMIC), revenu salarial, alors que le débat rémanent et fallacieux sur l’opposition des « revenus d’assistance » et des « revenus du travail » a été relancé par la perspective de réformes (voir « REFORME des AIDES SOCIALES en FRANCE – 2ème partie (2022) ») et des déclarations politiciennes (voir « BREFS COMMENTAIRES sur l’AVENIR du TRAVAIL »).

Si cette initiative de la CE s’inscrit « dans le cadre de l’engagement constant à réduire la pauvreté et l’exclusion sociale en Europe », avec des initiatives réglementaires dès 1992, le communiqué de presse mentionne aussi l’importance de ces revenus « en période de récession économique », qui menace plusieurs Etats-membres, et plus explicitement « …la situation actuelle, où les prix de l’énergie et l’inflation sont en hausse à la suite de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, puisque les mesures en matière de revenus peuvent être ciblées pour bénéficier spécifiquement aux groupes vulnérables. ».

Mais la proposition de recommandation réitère 2 objectifs ambitieux pour 2030, fixés en mars 2021:

* « réduire d’au moins 15 millions le nombre de personnes exposées au risque de pauvreté et d’exclusion », sachant que « 94,5 millions de personnes au total — étaient menacées de pauvreté ou d’exclusion sociale dans l’UE en 2021 » (dpe)

* « atteindre l’objectif qu’au moins 78 % de la population âgée de 20 à 64 ans ait un emploi. ».

Les recommandations de la CE visent à

* « rendre l’aide au revenu plus adéquate, notamment en fixant son niveau au moyen d’une méthodologie transparente et solide »

* « améliorer la couverture du revenu et son exploitation, à l’aide de critères d’éligibilité transparents et non discriminatoires, simplifiant les procédures de demande… »

* « améliorer l’accès à des marchés du travail inclusifs, par exemple en combinant l’aide au revenu et les revenus du travail pendant des périodes plus courtes »

* « améliorer l’accès aux services de soutien et aux services essentiels (formation, énergie…) »

* « promouvoir un accompagnement individualisé »

* « Accroître l’efficacité de la gouvernance des filets de protection sociale aux niveaux de l’Union européenne (UE), national, régional et local »

 

Dans le cadre de l’évaluation de la situation en 2019, la France occupait la 1ère place pour 2 critères liés :

* le niveau de dépenses pour les « allocations de revenu minimum » en % du PIB

* la plus forte proportion de « non-pauvres », c’est-à-dire de personnes au-dessus du seuil de pauvreté, bénéficiant d’un « revenu minimum »

 

Mais dans cet article, on résume aussi des scénarios d’impact d’évolution des politiques en matière de « revenu minimum », tels que simulés par le Centre de recherche commun (joint research center) de la CE. Il s’agit de mesurer les effets sur les budgets et les taux de pauvreté, par exemple d’une hausse du niveau de vie des bénéficiaires du « revenu minimum » par rapport au seuil de pauvreté. En France, d’autres réformes sont envisagées, mais les simulations de leurs effets ne sont pas connues (voir « REFORME des AIDES SOCIALES en FRANCE – 2ème partie (2022) »).

 

(drc) Une recommandation du Conseil donne une orientation aux Etats-membres sur le chemin de réforme, en leur laissant le soin d’adapter les mesures aux contextes nationaux et de la mise en œuvre.

(dpe) En plus du « taux de privation matérielle grave » et de l’ « indicateur de faible intensité de travail », un autre indicateur que le taux de pauvreté est recommandé par les institutions européennes pour mesurer le « risque de pauvreté et d’exclusion sociale »: l’ « intensité de la pauvreté ».

 

SOMMAIRE

I. AXES d’EVALUATION et d’EVOLUTION des SYSTEMES de « REVENU MINIMUM »

1.1. ADEQUATION des « AIDES au REVENU »

1.2. ACCES au « REVENU MINIMUM »

1.3. COORDINATION des « REVENU MINIMUM » et des « INCITATIONS au TRAVAIL »

1.4. ACCES aux SERVICES ESSENTIELS

1.5. ACCOMPAGNEMENT PERSONNALISE

1.6. GOUVERNANCE des « FILETS de PROTECTION SOCIALE »

II. SCENARIOS d’IMPACT d’EVENTUELLES REFORMES

 

I. AXES d’EVALUATION et d’EVOLUTION des SYSTEMES de « REVENU MINIMUM »

1.1. ADEQUATION des « AIDES au REVENU »

L’adéquation des « aides au revenu » (tra) peut être mesurée en comparant sous forme de ratio le niveau de vie des bénéficiaires du « revenu minimum » avec :

* d’une part, le seuil de pauvreté (« effet de réduction de la pauvreté »)

* d’autre part, le niveau de vie d’un salarié percevant 50 % du salaire moyen (« effet d’incitation à l’activité »), qui atteignait ou dépassait un peu le seuil de pauvreté dans tous les Etats-membres (asm)

Selon le document de travail accompagnant la proposition de recommandation, le niveau de vie des bénéficiaires du « revenu minimum » était inférieur à 80 % du seuil de pauvreté pour une personne seule dans 22 Etats-membres en 2019. Dans 5 autres Etats-membres, les Pays-bas, l’Irlande, l’Italie, le Luxembourg et le Danemark, l’écart entre le niveau de vie des bénéficiaires du « revenu minimum » et le seuil de pauvreté était donc le plus faible.

Si les 2 ratios précités étaient relativement corrélés, c’est-à-dire que les classements de chaque pays selon chacun des 2 ratios étaient assez proches, le second (niveau de vie des bénéficiaires du « revenu minimum » / niveau de vie d’un salarié percevant 50 % du salaire moyen) est plus ambigu puisqu’une égalité ou 100 % signifierait l’absence d’« effet d’incitation à l’activité ». Mais dans tous les Etats-membres, il était inférieur à 80 %. Le Danemark, Chypre et les Pays-bas, connaissaient le plus faible écart.

Avec des ratios respectifs de 70 % et 50 %, la France se situait respectivement en 11ème et 13ème positions.

Toutefois, la France présentait un des plus faibles écarts moyens entre le niveau de vie et le seuil de pauvreté après versement des « allocations de revenu minimum » (tee). De surcroît, la réduction de cet écart grâce aux « allocations de revenu minimum » {avant/après] était aussi parmi les plus substantielles.

Selon un autre ratio, niveau de vie d’un salarié percevant 50 % du salaire moyen / seuil de pauvreté, mesurant la « performance relative des bas salaires », la France se plaçait en 6ème position avec un ratio de plus de 125 %.

D’autre part, la France dépensait le plus pour les « allocations de revenu minimum » en % du PIB, près de 0,78 %, ce que l’on peut probablement imputer aux fortes revalorisations de la prime d’activité (voir « REFORME des AIDES SOCIALES en FRANCE – 1ère partie (2018-2019) »).

D’ailleurs, la France se distinguait par la plus forte proportion de « non-pauvres », c’est-à-dire de personnes au-dessus du seuil de pauvreté, bénéficiant d’un « revenu minimum »: 60 % de l’intégralité de la population sous ou au niveau du seuil de pauvreté. Seulement 3 pays, l’Irlande, Chypre et la Finlande, atteignaient entre 20 et 30 %, tandis qu’une telle situation était marginale dans les autres pays européens.

Les montants d’« allocations de revenu minimum » s’échelonnaient:

* de 29 € par mois en Roumanie à 1573 € au Danemark pour un ménage composé d’1 adulte (575 € pour le RSA(-socle) en France)

* de 65 € par mois en Pologne à 4180 € au Danemark pour un ménage composé de 2 adultes et d’1 enfant (1036 € pour le RSA(-socle) en France)

Dans le cadre de l’évaluation de l’adéquation du « revenu minimum », la proposition de recommandation signale aussi que seuls 10 Etats-membres appliquent un système d’indexation automatique et régulier du « revenu minimum » sur le coût de la vie, la plupart basés sur la variation de l’indice des prix à la consommation.

 

(tra) Au sens des institutions européennes, l’ « income support » comprend de multiples allocations sociales monétaires, telles que les allocations familiales, les indemnités de chômage, les allocations-logement… On fait donc le choix du pluriel « aides au revenu » en français. Elles comprennent ainsi le « revenu / minimum / income », tel que défini dans l’introduction du présent article, à la fois plus générique et plus large que les « minimum income benefits » puisqu’il comprend des services. Pour la France, les « minimum income benefits » désignent le RSA(-socle) et la prime d’activité. On utilise l’expression « allocation de revenu minimum » pour « minimum income benefit ».

(asm) C’est un artifice vis à vis du salaire minimum qui n’existe pas dans tous les pays.

(tee) Il n’y a pas, semble-t-il, d’explication de la meilleure position de la France par rapport à cet indicateur que par rapport au ratio « niveau de vie des bénéficiaires du « revenu minimum » / seuil de pauvreté », malgré leur ressemblance, et sachant que cette mesure d’ « intensité de la pauvreté » ne prend pas non plus en compte le « niveau de vie médian de la population pauvre », mais a priori le « niveau de vie moyen », au contraire de l’indicateur traditionnel d’ « intensité de la pauvreté » (dpe). Ni la composition familiale, ni la décomposition des allocations, n’apparaissent comme déterminants après une brève recherche.

 

1.2. ACCES au « REVENU MINIMUM »

Dans les tranches d’âge de 18 à 64 ans, environ 34 % de ceux sous ou au niveau du seuil de pauvreté ne percevaient aucune allocation sociale. Le « taux de couverture » approchait toutefois 90 % au Danemark, en Finlande, en France et en Irlande.

La France, Chypre, l’Irlande, la Slovénie et la Finlande, avaient les « taux de couverture » les plus élevés pour les « allocations de revenu minimum ».

Selon le document de travail de la CE, la variation des « taux de couverture » s’explique par :

* les critères d’éligibilité, plus ou moins restrictifs

* le non-recours

Dans la plupart des pays, les ressources prises en compte ne doivent pas dépasser le montant maximal du « revenu minimum ». Dans 10 pays, dont la France, la propriété du logement est prise en compte dans l’évaluation des ressources [heureusement :)].

Dans quelques pays seulement, la perception des allocations est individualisée, tandis que l’éligibilité reste évaluée au niveau du ménage.

Le non-recours s’échelonnerait de 30 à 50 % de la population éligible selon les pays.

Par ailleurs, la proposition de recommandation établit à 30 jours le délai maximal entre la soumission de la demande d’« allocation de revenu minimum » par le bénéficiaire potentiel et la décision d’éligibilité, ce qui n’était le cas que dans 17 Etats-membres.

 

1.3. COORDINATION des « REVENU MINIMUM » et des « INCITATIONS au TRAVAIL »

La participation au marché du travail est vue comme un aspect de la participation à la vie économique et sociale, permise par un niveau de ressources suffisant, en particulier grâce à des filets de protection sociale bien conçus.

La proposition de recommandation met l’accent sur les politiques « actives » du marché du travail : formation tout au long de la vie, accompagnement personnalisé, emplois de qualité…, en accord avec le concept de « marchés du travail inclusifs ». Elle déplore que ces politiques ne soient pas adaptées aux bénéficiaires de « revenu minimum » dans de nombreux Etats-membres. D’ailleurs, les bénéficiaires de « revenu minimum » sont moins susceptibles de bénéficier de politiques « actives » du marché du travail que les demandeurs d’emploi indemnisés.

Plutôt que la participation à des « travaux d’intérêt général » (« public works programs »), qui ont peu d’effets sur l’emploi à long terme, elle recommande d’en passer par l’économie sociale et solidaire.

Selon le document de travail accompagnant la proposition de recommandation, en prenant en compte l’ensemble des facteurs jouant un rôle dans la transition vers l’emploi, le gain net potentiel attendu du travail ne semble pas avoir d’impact significatif sur la probabilité pour les bénéficiaires de « revenu minimum » de prendre un emploi. D’autres facteurs sont évoqués comme la disparité entre les compétences et les postes à pourvoir, le manque de conseil…

Mais dans beaucoup d’Etats-membres, les « allocations de revenu minimum » continuent à être versées quand les bénéficiaires reprennent un emploi, soit jusqu’à un plafond de ressources d’éligibilité, soit de manière dégressive dans le calcul de l’allocation, comme c’est le cas de la prime d’activité en France.

 

1.4. ACCES aux SERVICES ESSENTIELS

Eau, sanitaires, énergie, transports, services financiers et services numériques, sont considérés comme indispensables à l’intégration sociale, mais santé, logement, éducation, garde d’enfants…, sont aussi « générateurs » (« enabling ») de participation sociale et d’accès réussi à l’emploi.

Dans la majorité des Etats-membres, un panier de soins minimal gratuit est offert aux bénéficiaires de « revenu minimum ».

Le document de travail accompagnant la proposition de recommandation décrit aussi les « services d’inclusion sociale »: conseil, soutien psychologique…

 

1.5. ACCOMPAGNEMENT PERSONNALISE

Dans environ la moitié des Etats-membres, une évaluation multidimensionnelle des besoins est systématiquement effectuée pour toutes les personnes vivant dans des ménages « aux ressources insuffisantes », tandis que dans un plus petit groupe de pays, l’évaluation ne concerne que des catégories plus spécifiques, éventuellement de manière discrétionnaire.

Mais seulement la moitié de ceux qui font une évaluation offrent des « plans d’insertion » sur mesure.

La proposition de recommandation établit à 3 mois le délai maximal entre l’accès au « revenu minimum » et l’établissement d’un « plan d’insertion ».

Le document de travail accompagnant la proposition de recommandation invite à la généralisation du « référent social » (« case manager »), pour assister les bénéficiaires de « revenu minimum » dans leurs démarches, mis en place dans quelques Etats-membres seulement.

 

1.6. GOUVERNANCE des « FILETS de PROTECTION SOCIALE »

Dans la plupart des pays, le financement du « revenu minimum » provient du budget de l’État central, quelques pays ayant des dispositifs hybrides, par exemple la France, avec le financement d’une partie des allocations par les collectivités locales (voir « 1.3.1. La complexité légitime des dispositifs » et « 2.1. AIDES SOCIALES LOCALES » dans d’autres articles sur ce site).

Mais la majorité des pays mettent en œuvre le « revenu minimum » aux niveaux local ou régional, ce qui assure la proximité des bénéficiaires avec des travailleurs sociaux qualifiés.

De multiples acteurs sont appelés à coopérer : institutions nationales et locales, partenaires sociaux, société civile, entreprises de l’économie sociale et solidaire

Manque de coordination entre institutions, d’échanges d’information (en particulier en France), défaut de personnel qualifié…, sont toutefois rencontrés.

Seulement la moitié des Etats-membres disposent de mécanismes de pilotage réguliers. La France est citée pour les rapports détaillés du Ministère de la santé et des solidarités.

Les Etats-membres devraient adresser un rapport triennal à la Commission européenne pour décrire les progrès vis à vis de cette recommandation.

 

II. SCENARIOS d’IMPACT d’EVENTUELLES REFORMES

Ces scénarios apparaissent dans le document de travail accompagnant la proposition de recommandation, mais les mesures qu’ils décrivent ne figurent pas explicitement dans la proposition de recommandation. Même si de telles simulations doivent toujours faire l’objet d’un travail critique, elles présentent l’intérêt de calibrer les moyens pour atteindre certains objectifs, qui ne sont toutefois pas non plus ceux exprimés par la proposition de recommandation (voir l’introduction du présent article).

4 principaux scénarios sont présentés(rpc):

* hausse du niveau de vie des bénéficiaires du « revenu minimum » à 2/3 du seuil de pauvreté pour les bénéficiaires actuels

* hausse du niveau de viedes bénéficiaires du « revenu minimum » à 2/3 du seuil de pauvreté et hausse du « taux de couverture » de 10 %

* hausse du niveau de vie des bénéficiaires du « revenu minimum » au niveau du seuil de pauvreté pour les bénéficiaires actuels

* hausse du niveau de vie des bénéficiaires du « revenu minimum » au niveau du seuil de pauvreté et hausse du « taux de couverture » de 10 %

Par rapport à 0,42 % du PIB agrégé des pays de l’UE en 2019, les dépenses liées aux « allocations de revenu minimum » seraient respectivement augmentées de 0,03 %, 0,10 %, 0,20 %, 0,41 %.

Pour la France : 0,03 % environ pour les 2 1ers scénarios, 0,25 % et 0,35 % – soit 730 M€, 6 Md€ et 8,5 Md€ selon des calculs très approximatifs par rapport au PIB de 2019.

Par rapport à 16,2 % actuellement dans l’UE, les taux de pauvreté n’apparaissent pas dans le tableau récapitulatif pour les 2 premiers scénarios, mais des réductions de 5 % à 3,6 % sont évoquées, tandis que ces taux seraient abaissés pour les 2 derniers scénarios, à 13,9 % et 12,4 % respectivement.

 

(rpc) Dans plusieurs paragraphes, on peut lire « the level of the minimum income benefit is increased to… », soit « le niveau de l’« allocation de revenu minimum » est augmenté jusqu’à… ». Mais dans l’encadré méthodologique, il est précisé que les dispositifs correspondant aux différents scénarios complètent les niveaux de vie de tous les ménages [concernés] jusqu’au seuil correspondant [2/3 du seuil de pauvreté ou niveau du seuil de pauvreté] pour satisfaire aux critères d’éligibilité. On substitue donc « niveau de vie des bénéficiaires du « revenu minimum » » à « allocation de revenu minimum ».

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