PROJETS d’ « UNIFICATION des ALLOCATIONS SOCIALES » et de REVENUS dits « UNIVERSELS »

PROJETS d’ « UNIFICATION des ALLOCATIONS SOCIALES » et de REVENUS dits « UNIVERSELS »

Le 13 septembre 2018, le Président de la République a présenté une « stratégie nationale de prévention et de lutte contre la pauvreté », qui envisageait la mise en place d’un « revenu universel d’activité » (RUA) en 2020. Le présent article fait suite à « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019 » qui décrivait les enjeux d’une telle réforme. Au-delà d’une dénomination faisant écho à un projet utopique, parfois présenté comme un « impôt négatif » pour les bénéficiaires, il s’agit en fait de fusionner des allocations sociales sous condition de ressources, et prioritairement le revenu de solidarité active (RSA-socle dans le présent article), la prime d’activité, déjà issue de la fusion de la prime pour l’emploi et du RSA-activité en 2016, et les allocations-logement.

Mais le présent article a été inspiré par un rapport de l’Institut des politiques publiques (IPP), publié en juin 2018, financé par treize conseils départementaux, qui décrit les effets potentiels de la fusion du revenu de solidarité active (ou RSA-socle) et de la prime d’activité, en intégrant aussi les allocations-logement dans certains scénarios, trois aides sociales sous conditions de ressources, les 3 mêmes dont le gouvernement envisage prioritairement la fusion dans un « RUA ».

Une des ironies de l’histoire est que le « RUA » mettrait fin au circuit de financement du RSA(-socle) dans lequel les départements tiennent aujourd’hui un rôle déterminant, bien que certains se plaignent de contributions insuffisantes de la part de l’Etat.

L’un des principaux scénarios du rapport de l’IPP est résumé dans l’article « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) ». Mais dans le présent article, on présente aussi d’autres propositions et projets d’« unification des allocations sociales » et de « revenu de base/universel », conçus en France et dans d’autres pays.

Si les périmètres des allocations susceptibles d’être fusionnées sont très variables selon les propositions, on peut émettre d’emblée plusieurs critiques :

* les propositions d’ « unification des allocations » ne peuvent éluder l’objectif de lutter contre la misère, mais certaines visent aussi un objectif d’« incitation au travail », qui ne peut qu’être secondaire, sauf cynisme sans borne (#tip)

or, plus on cherche à « unifier les allocations », plus on s’éloigne du 2ème objectif puisque certains allocataires ne peuvent y être associés, par exemple ceux percevant l’allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa)

* en fait, les propositions qui visent les 2 objectifs et une couverture très large consistent à empiler les majorations spécifiques (personnes âgées, handicapées…) sur un « revenu de base »

* l’objectif de simplification des bases-ressources ou les « incitations au travail » ne peuvent justifier le relâchement de certains critères d’attribution, plus stricts aujourd’hui pour certaines allocations comme le RSA(-socle), car cela produirait des iniquités entre allocataires, d’autant que cela serait plus coûteux, avec en particulier plus d’allocataires

* l’intégration de certaines allocations dans une « allocation unique » est en fait absurde dès lors que ses critères d’attribution sont spécifiques et ne peuvent être éludés, ni agrégés (moyenne…), ni « forfaitisés », par exemple le montant des loyers pour les allocations-logement

les politiques publiques doivent aussi pouvoir utiliser tous les instruments requis vis à vis de domaines ou situations particuliers, par exemple la politique du logement

Une autre ironie de l’histoire est que le gouvernement a pris récemment plusieurs mesures, qui sont en fait contraires à l’unification revendiquée dans le cadre d’un projet plus global.

On a déjà décrit la divergence croissante entre le RSA(-socle) et la prime d’activité, malgré le rapprochement de leurs montants forfaitaires.

Or, le gouvernement a aussi récemment introduit une disparité dans les conditions d’accès aux allocations sociales en décidant l’ « attribution à vie des principaux droits aux personnes dont le handicap n’est pas susceptible d’évoluer favorablement : l’allocation adulte handicapé, la reconnaissance de qualité de travailleur handicapé, la carte mobilité inclusion ». Toutes les mesures de ce comité interministériel du handicap confirment d’ailleurs l’étendue des problématiques spécifiques aux personnes handicapées. Ces différences de conditions d’accès ne sont pas toutefois incompatibles avec un socle commun et des prestations ajoutées en fonction des statuts, qui soulèvent d’autres questions.

(apl) Il y a trois allocations-logement: allocation de logement familiale (ALF), aide personnalisée au logement (APL), allocation de logement sociale (ALS), mais leur mode de calcul est déjà harmonisé.

(tip) L’IPP explique d’ailleurs « qu’il est impossible d’améliorer en même temps trois des paramètres déterminant le dispositif de bas revenus : montant de base, incitations au retour à l’emploi, et coût budgétaire ».

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SOMMAIRE

I. Les TENTATIVES de FUSION d’ALLOCATIONS SOCIALES pour « REVALORISER le TRAVAIL »

1.1. Le « CREDIT UNIVERSEL » au ROYAUME-UNI

1.2. Les SCENARIOS RESTREINTS de l’INSTITUT des POLITIQUES PUBLIQUES (IPP)

1.2.1. Le scénario de référence pour le « revenu de base » de l’IPP

1.2.1.1. Les paramètres du « revenu de base »

1.2.1.2. Les effets prévus du « revenu de base »

1.2.1.3. Le souhait de corriger une distorsion entre locataires et non-locataires

1.2.2. L’intégration des aides au logement au « revenu de base »

1.3. Les TRANSFERTS CHIFFRéS mais OCCULTéS de FRANCE STRATEGIE

1.4. Les BOUQUETS de COMPLEMENTS SPECIFIQUES du DEPUTE SIRUGUE

1.5. La SEPARATION des ALLOCATIONS-CHOMAGE et des ALLOCATIONS de SOLIDARITE PRONEE par le MEDEF

II. Les « REVENU MINIMUM » INCONDITIONNELS

2.1. Le « REVENU MINIMUM UNIQUE » de l’OBSERVATOIRE des INEGALITES

2.2. Le « REVENU MINIMUM SOCIAL GARANTI » du CONSEIL ECONOMIQUE, SOCIAL et ENVIRONNEMENTAL (CESE)

III. Les « IMPÔT NEGATIF » dans le CADRE d’une REFORME FISCALE

3.1. L’ « IMPÔT JUSTE » de Pierre-Alain MUET

3.2. Le « LIBER » de « GENERATION LIBRE »

BIBLIOGRAPHIE


I. Les TENTATIVES de FUSION d’ALLOCATIONS SOCIALES pour « REVALORISER le TRAVAIL »

1.1. Le « CREDIT UNIVERSEL » au ROYAUME-UNI

Le Royaume-uni a mis en place à partir de 2013 un « crédit universel » (« UC ») regroupant plusieurs allocations antérieures dont:

* les allocations-logement (« housing Benefit »)

* un crédit d’impôt sur les revenus du travail (« working Tax Credit »)

* un revenu d’assistance (« income support »)

etc…

Cela s’inscrivait dans le cadre d’un programme de contraction budgétaire drastique à la suite du retour au pouvoir du parti conservateur alliés aux libéraux-démocrates en 2010, l’« UC » devant toutefois coûter 1,7 Md£ d’investissement.

Le montant de base pour une personne seule de 25 ans ou plus était de 318 £ en février 2019 (environ 373 €).

Le « taux de dégressivité » sur les revenus d’activité est inverse de celui appliqué à la prime d’activité en France, soit 63 % déduits de l’« UC ».

Des allocations-logement peuvent être ajoutées, dépendant du nombre de pièces, de la localisation…, qui ont donc persisté en dépit des objectifs de fusion, de même que des suppléments pour les enfants, les personnes handicapées…

C’est donc un projet mêlant les « axes horizontal » et « vertical », les jardins anglais n’étant ni l’un, ni l’autre.

En fait, l’« UC » est déployé très progressivement selon les zones géographiques, les situations… Mais ce déploiement semble se heurter à de grandes difficultés, notamment à cause de longs délais d’enregistrement, ce qui est paradoxal par rapport à la revendication du gouvernement de plus de simplicité, flexibilité et transparence, et pire encore, de la soi-disant lutte contre le non-recours, que l’on retrouve en bonne place dans l’argumentaire. Sacrés Anglais !

A la fin 2018, alors qu’1,4 millions de personnes percevaient l’« UC », la nouvelle Secrétaire d’État au travail et aux retraites (Department for work & pensions ou DWP) a déclaré vouloir étendre les délais de déploiement jusqu’à fin 2023, avec 6 ans de retard, pour toucher 7 millions de personnes, restaurer la confiance dans le dispositif, et éviter que les délais d’attente imposent à de futurs allocataires le recours aux banques alimentaires, qui a connu une hausse de 80 % en 2016. Mais ce n’était pas ce non-recours-là qui était visé au départ.

19 % des allocataires se déclaraient d’ailleurs mécontents de l’« UC », dont 10 % très mécontents, soit la moins bonne appréciation parmi dix prestations sociales, dans le cadre d’une enquête du DWP sur 2017/2018.

L’obsession idéologique des promoteurs de cette réforme, maniant le fameux slogan « reduce poverty by making work pay » (« réduire la pauvreté en faisant en sorte que le travail paie »), a conduit à sous-estimer les difficultés de cette fusion, que les erreurs du passé ne justifiaient pas. Une évaluation menée sur quelques milliers de nouveaux allocataires entre 2013 et 2014 a aussi montré que la légère augmentation du taux d’emploi des allocataires de l’« UC » était due à celle des emplois de courte durée. Sans préciser la nature des emplois occupés, ni les effets sur la pauvreté, sachant que les chômeurs britanniques en général ne vivent pas dans le pays démocratique exaltant la liberté, reconnu comme tel dans le monde entier, en particulier par les « classes mondialisées », mais dans un régime autoritariste avec des contrôles kafkaïens et des conditions de vie qui les rapprochent de celles d’un pays en voie de développement.

Et que penser de la bizarrerie consistant à lier des allocations-logement à un statut relatif au marché du travail ??? Good old English !

(tdal) Le « taux de dégressivité » dans le cadre d’une allocation traduit le pourcentage de la dégressivité de cette allocation ou de l’une de ses composantes en fonction de niveaux croissants d’autres ressources ou de patrimoine. Il s’applique en France dans le cadre de la prime d’activité (ou à un « revenu de base/universel » qui l’intégrerait). Ces revenus d’activité s’ajoutant à l’allocation, on peut aussi considérer que le « taux de dégressivité » inclut ou est équivalent à un « taux d’imposition » sur ces revenus. En sens inverse, on évoque un « taux d’abattement » sur les revenus, d’activité en l’occurrence, passé de 62 % à 61 % pour la prime d’activité, selon le décret du 3/10/18.

(ahv) On peut qualifier d’ « horizontal » un axe comprenant des allocations alternatives ou non cumulables, avant leur éventuel empilement dans une « allocation unifiée ». En fait, certaines le sont, comme le RSA(-socle) et lallocation de solidarité spécifique (ASS), mais sous forme de compléments compensatoires pour atteindre le montant le plus élevé de l’une ou l’autre allocation. L’« axe vertical » correspond à des allocations logiquement cumulables comme le RSA(-socle) et l’ allocation-logement.

(dft) Selon le rapport Sirugue-Cadoret-Grobon, le « taux marginal d’imposition » sur les premières heures travaillées était antérieurement égal à 100 %, donc défavorable à la reprise d’activité. De Charybde en Scylla en quelque sorte.

(cmo) La notion de « classes mondialisées » est un peu floue et requerrait de plus amples investigations. Le pluriel en reflète la diversité, et l’ « isation », le processus de conversion plutôt qu’une situation installée, comme ce serait plus le cas pour « élites mondiales » ou « bourgeoisie internationale ». Cette appartenance floue suppose cependant des ressources permettant d’accomplir leur vocation fondamentale qui est de s’inscrire dans des flux internationaux, que ce soit pour des raisons professionnelles ou personnelles (jusqu’au tourisme compulsif). On pourrait chercher à les caractériser plus précisément, par exemple par des allers et retours fréquents (avec leurs coûts environnementaux) ou des séjours réguliers de plus de trois mois à l’étranger, mais c’est surtout la dimension idéologique qui les caractérise.

Richard Florida a donné une définition plus extensive et documentée de la « classe créative », soit une version séduisante et folklorique, mais finalement ambiguë, sachant que des flux internes aux Etats-unis et les modes de vie associés peuvent traduire la même déliaison que ceux opérés à l’échelle internationale.

1.2. Les SCENARIOS RESTREINTS de l’INSTITUT des POLITIQUES PUBLIQUES (IPP)

Comme on l’a écrit dans l’introduction, l’Institut des politiques publiques (IPP) a publié un rapport en juin 2018, qui décrit les effets potentiels de la fusion du revenu de solidarité active (RSA-socle dans le présent document) et de la prime d’activité, en intégrant aussi les allocations-logement dans certains scénarios, dont seuls 2 sont analysés dans cet article (il y en a 18 en tout).

Le « revenu de base » envisagé par l’IPP ne serait conditionné que par les revenus à travers sa formule de calcul (et non pas par exemple par le patrimoine détenu). Mais le rapport ne parvenait guère à justifier la fusion de ces allocations ou même leur réforme en profondeur.

Pour chaque scénario était présenté un histogramme des « variations moyennes de niveau de vie par décile » (de la population française) et les « effets redistributifs sur le niveau de vie des ménages par déciles ».

Cette présentation révélait une aberration des changements proposés : les pourcentages de gagnants étaient systématiquement plus importants que ceux des perdants dans les déciles supérieurs, même si les pertes des perdants étaient fréquemment supérieures aux gains des gagnants dans ces déciles. Cela malgré le maintien d’un seuil de revenus implicite pour l’attribution du « revenu de base » à travers la formule de calcul et le « taux d’imposition » des revenus.

1.2.1. Le scénario de référence pour le « revenu de base » de l’IPP

1.2.1.1. Les paramètres du « revenu de base »

Dans un scénario central sans modification de l’âge d’éligibilité (25 ans), dit « scénario 1 », l’IPP proposait de calculer une prestation remplaçant le « RSA » [RSA(-socle)] et la prime d’activité, « définie comme la différence entre un montant forfaitaire et les ressources de la famille, à laquelle on rajoute un pourcentage des revenus d’activité ».

Cela constituerait une forme de retour à l’ancien RSA, qui était décomposé en RSA(-socle) et RSA-activité, avant la fusion de ce dernier avec la prime pour l’emploi dans la prime d’activité. Mais ce mode de calcul est très proche de celui de la prime d’activité.

L’écart du « montant minimal garanti de 461 euros pour une personne seule » par rapport au montant de base mensuel du « RSA » (524,68 € en avril 2016) correspondait au forfait logement, qui est déduit aujourd’hui « pour les familles propriétaires, logées à titre gratuit ou locataires bénéficiant d’aides au logement ».

Le « taux de dégressivité » sur les revenus d’activité était abaissé à 30 % (par rapport à 38 % avant octobre 2018), pour éviter de faire des perdants dans la mesure où les bonifications individuelles seraient supprimées.

L’ensemble du rapport de l’IPP était tourné vers la revalorisation de la prime d’activité, quel que soit le vocable de l’enveloppe (« revenu de base »…). Elle a donc été accélérée par le gouvernement au 1er janvier 2019, à la suite du mouvement des « gilets jaunes ».

Une astuce au détriment des allocataires du RSA(-socle) que l’on ne peut cependant prêter aux auteurs de ce rapport – consisterait à bloquer toute revalorisation du montant de base/forfaitaire d’une prestation unifiée. Or, on a vu que les évolutions de revenu disponible des allocataires du RSA(-socle) et de la prime d’activité avaient déjà beaucoup divergé.

Mais dans le projet de l’IPP, le gouvernement perdrait son principal outil de revalorisation: la bonification individuelle.

1.2.1.2. Les effets prévus du « revenu de base »

Dans le cadre du « scénario 1 » de l’IPP, la courbe de revenu mensuel disponible en fonction de la progression des revenus d’activité serait quasi-identique à la situation actuelle pour le cas-type d’un célibataire de 25 ans ou plus et sans enfant, qu’il soit ou non locataire.

L’IPP a aussi calculé les « effets redistributifs sur le niveau de vie des ménages par déciles ». Des ménages gagnants apparaîtraient dans chaque décile de niveau de vie, surtout dans les déciles inférieurs, mais hormis l’abaissement à 30 % du « taux d’imposition » des revenus d’activité, la suppression du non-recours du fait de l’automaticité des versements en serait le principal facteur.

« Le coût de l’automaticité du versement (passage à un recours à 100 %) sans modification du système est estimé à 2,9 milliards d’euros [annuels], un chiffrage qui reste incertain en raison des doutes qui subsistent sur le taux de non-recours effectif. La simplification du système RSA et prime d’activité en fait essentiellement l’abaissement du taux de dégressivité moyen à 30% (contre 38% pour la prime d’activité actuelle, hors bonifications individuelles)est estimée à 1,5 milliards d’euros [annuels]. ».

Cette évaluation doit être comparée au coût estimé des mesures prises par les gouvernements successifs pour revaloriser la prime d’activité, ayant d’ailleurs conduit à augmenter le « taux de recours ». Si l’on se réfère à la croissance du budget de la prime d’activité, de 4,5 Md€ en 2016 (année de référence de l’étude de l’IPP) à 8,8 Md€ en 2019, on peut considérer que l’IPP avait vu juste, mais pas sur sa répartition puisqu’il est difficile de démêler pour le moment l’effet des nouveaux bénéficiaires par rapport à celui des hausse légales de la prime d’activité.

Le rapport n’indique pas dans ce « scénario 1 » ce qu’il adviendrait des 18-24 ans, qui perçoivent la prime d’activité aujourd’hui.

1.2.1.3. Le souhait de corriger une distorsion entre locataires et non-locataires

Selon les calculs de l’IPP relatifs à la situation constatée en 2016, la dégressivité des allocations-logement avait les effets suivants sur les « taux d’imposition » des revenus d’activité d’un locataire bénéficiant de la de la prime d’activité :

* doublement de 38 % à 72 %, à partir de 0,3 SMIC jusqu’à 0,5 SMIC

* redescente à 52 % de 0,5 à 0,8 SMIC (sous l’effet des bonifications individuelles de la prime d’activité)

* remontée à 72 % au-delà

Pour les non-locataires, moins susceptibles de percevoir des allocations-logement, le « taux d’imposition » baissait de 38 % à 18 % pour des revenus croissant de 0,5 à 0,8 SMIC (sous l’effet des bonifications individuelles de la prime d’activité).

Selon l’IPP, « Les locataires sont notamment soumis à des taux de dégressivité moins incitatifs à l’emploi que les propriétaires ou les individus logés à titre gratuit ».

Soulignons qu’il s’agissait de pentes propres aux valeurs de la prime d’activité avant les revalorisations accordées par le gouvernement en janvier 2019.

Au nom de l’« incitation à l’activité », l’IPP prônait donc un réalignement des « taux d’imposition » des locataires avec ceux des non-locataires pour éviter la « dégressivité » supplémentaire propre aux allocations-logement. Mais au nom de la justice sociale, on pouvait aussi considérer que c’est l’avantage dont bénéficiaient les non-locataires qui devait être supprimé, d’autant qu’aujourd’hui, le forfait logement déduit du RSA(-socle) pour tous les propriétaires est en fait équivalent à celui déduit pour les locataires. On peut même se demander s’il faut maintenir les allocations comme le RSA(-socle) et la prime d’activité pour les propriétaires, au moins à partir d’un certain montant de patrimoine. A tout le moins, une plus forte « pénalisation » s’impose sous la forme d’un forfait logement beaucoup plus élevé pour les propriétaires (voir aussi « 1.2.1. L’importance des bases-ressources pour la justice sociale » dans l’article précité).

Remarquons d’ailleurs que le rapport de France-stratégie envisageait un plafond d’ « allocation sociale unique » de 480 € par mois pour les propriétaires de leur logement, inférieur à celui de 734-789 € pour les locataires du parc privé, ce qui était une autre manière d’« inciter à la reprise d’emploi » des premiers.

1.2.2. L’intégration des aides au logement au « revenu de base »

Il s’agit du même scénario chiffré déjà présenté dans l’article « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) », avec les critiques à son encontre, mais il est utile de le mentionner dans le cadre d’un article entièrement dédié aux « revenus universels », « de base », « allocations uniques »…, sans redondance et en apportant quelques précisions.

Au cas où la prestation unifiée inclurait l’allocation-logement, en l’occurrence dans le « scénario 7 » de l’IPP, une « majoration logement », de 195 € en zone 3 (+ 23 € en zone 1), variant aussi selon la composition familiale, serait ajoutée pour les seuls locataires au « montant minimal garanti » (530 € pour une personne seule), les ressources de la famille étant déduites.

Pour la zone 1 par exemple, cela correspondait à moins d’une dizaine d’euros près au cumul du RSA(-socle) et de l’allocation-logement en 2016, mais l’allocation-logement représentait environ 3/7ème du total, le forfait logement étant d’autre part déduit du montant forfaitaire du RSA(-socle), sans compter quelques récentes fioritures.

Dans ce scénario, le « taux de dégressivité » sur les revenus d’activité serait relevé à 38 % (taux officiel en vigueur à l’époque pour la prime d’activité) par rapport au « scénario 1 ». Mais dans le cadre de ce scénario, c’est par ce biais que seraient corrigées les différences de « taux de dégressivité » de l’ancienne prime d’activité entre locataires et non-locataires (voir section précédente) et que seraient engendrés des gains pour les locataires célibataires sans enfant entre 0,3 et 0,75 SMIC (#fsd).

La « majoration logement » ne semblait déterminée que par le total formé avec le « montant minimal garanti » et la minimisation du coût de la réforme et du nombre de perdants. La minimisation de ces deux critères valait d’ailleurs pour les paramètres testés dans les différents scénarios, surtout pour « ne pas engendrer de pertes de prestations au titre des revenus d’activité ». Mais si le « montant minimal garanti » était relevé d’environ 70 € par rapport au « scénario 1 », c’était pour compenser la perte des bonifications individuelles de la prime d’activité des non-locataires dans le système actuel, qui abaissaient drastiquement leur « taux marginal d’imposition » de 38 % à 18 % entre 0,5 et 0,8 SMIC (voir section précédente).

Notons cependant que les bonifications individuelles avaient déjà disparu dans le « scénario 1 » et que ce ne sont pas nécessairement les mêmes niveaux de revenu (en % du SMIC) qui seraient affectés par les changements de paramètres.

(zhab) Il est difficile de trouver une stricte équivalence avec les zone d’habitation révisées, A, B1, B2…

(erb) L’écart entre le « montant minimal garanti de 461 euros pour une personne seule » dans le « scénario 1 » et celui-ci s’explique par une moindre « majoration logement » que les allocations-logement actuelles, comme expliqué dans la phrase suivante.

(ral) On ne tient pas compte en l’occurrence de la réduction couplée des loyers et des allocations-logement dans le parc social intervenue en 2018. L’IPP ne pouvait de toute façon vraisemblablement pas l’intégrer pour une raison de cohérence avec des données de 2016.

(fsd) Dans son rapport précité, France-stratégie proposait un « taux de dégressivité » de 52 %, mais sur un périmètre d’allocations fusionnées plus large, avec un effet d’augmentation de 0,3 % du « taux de pauvreté » à budget constant.

1.3. Les TRANSFERTS CHIFFRéS mais OCCULTéS de FRANCE STRATEGIE

France-stratégie, organisme d’études du gouvernement, a remis en juin 2018 un rapport évaluant les conséquences de la fusion de sept allocations dans le cadre d’une enveloppe budgétaire « constante »:

* RSA(-socle)

* allocation de solidarité spécifique pour les chômeurs en fin de droits

* prime d’activité

* aides au logement

* allocation adulte handicapé (AHH)

* allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA)

* allocation supplémentaire d’invalidité (ASI)

Mais ce rapport n’a pas été communiqué au public. Il est probable qu’il a fait une évaluation réaliste des gagnants et des perdants, d’après les informations ayant filtré dans la presse au début du mois d’août 2018, les perdants étant évalués à 3,55 millions de ménages et les gagnants à 3,3 millions. Mais il semblait reprendre les arguments les plus courants, démagogiques et caricaturaux (« illisibilité du système »…), aussi pour justifier le choix des cibles à privilégier ou à léser. Il faut donc prouver à cet égard que les perdants potentiels sont des privilégiés.

D’autre part, les modèles de calcul utilisés étaient probablement proches de celui de l’Institut des politiques publiques (IPP), dont on a vu certaines fragilités sur un champ plus restreint. Notons que les modélisations de l’IPP alimentent maintenant régulièrement les médias sur d’autres sujets.

1.4. Les BOUQUETS de COMPLEMENTS SPECIFIQUES du DEPUTE SIRUGUE

Le rapport Sirugue-Cadoret-Grobon avait aussi étudié la fusion des « minima sociaux » en 2016, mais indépendamment d’allocations sociales complémentaires, comme les allocations-logement, ou complémentaires de revenus d’activité, comme la prime d’activité.

Sur l’ « axe horizontal », le rapport recensait 10 « minima sociaux »:

* le RSA(-socle)

* l’allocation aux adultes handicapés (AAH)

* l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI)

* l’allocation de solidarité spécifique (ASS) pour les personnes ayant épuisé leurs droits au chômage (sous conditions d’activité antérieure et de ressources)

* l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA)

* l’allocation veuvage

* le revenu de solidarité outre-mer (RSO)

* l’allocation pour demandeur d’asile (ADA)

La prime transitoire de solidarité (PTS) et l’allocation temporaire d’attente (ATA) ont été supprimées depuis.

Le rapport proposait 3 scénarios:

* des mesures de simplification pour faciliter l’accès aux droits : échanges de données entre opérateurs (Caisse d’allocations familiales…), simulateurs en ligne…

* le passage de 10 à 5 « minima sociaux » en les regroupant dans cinq pôles (« solidarité », « fin de droits au chômage », « handicap et invalidité », « vieillesse », « demandeurs d’asile ») et en intégrant notamment l’allocation veuvage et le revenu de solidarité outre-mer (RSO) au RSA(-socle), doté d’un rôle-pivot

* la création d’une « couverture socle commune » remplaçant les 10 « minima sociaux »

Mais des remarques d’un autre rapport, le rapport Cloarec-Damon, traduisent la difficulté d’une fusion de type « empilement » en général : «…chacune des prestations aujourd’hui présentées comme à unifier a une histoire et une légitimité. Aller vers une prestation véritablement unique risque de gommer des spécificités jugées justifiées…S’il y a une prestation unique, elle ne peut se comprendre que dans une logique de socle, avec des compléments. D’où la question de savoir si l’unification totale est bien la voie à suivre, alors qu’il s’agit de conserver des spécificités. ». « Par « unique » il faut entendre plutôt qu’elle relèverait d’un régime unique ».

Mais ce rapport trouvait néanmoins la fusion légitime au nom de la « lisibilité » et de l’« incitation à l’activité ». Or, l’argument de la « lisibilité » est surtout lié au non-recours, qui doit être relativisé, comme on l’a expliqué.

Si le RSA(-socle) constituait un socle commun à plusieurs allocations, en lui ajoutant des prestations spécifiques, par exemple un supplément pour le handicap, un autre pour le minimum-vieillesse etc…, cela rendrait aussi transparente une hiérarchie sociale, qui devrait être très concrètement assumée lors de toute revalorisation, tandis que le public ne peut aujourd’hui procéder à des comparaisons directes. Revaloriserait-on alors seulement le socle commun, au risque de le rapprocher progressivement des montants des prestations spécifiques ? Répartirait-on les revalorisations sur le socle commun et les prestations spécifiques, en avantageant systématiquement ces dernières ?

A moins d’attribuer un montant unique pour les différentes prestations, constituant un réel « revenu de base », mais avec une hausse des dépenses publiques, comme l’ont proposé l’Observatoire des inégalités et le Conseil économique, social et environnemental (voir « II. Les « REVENU MINIMUM » INCONDITIONNELS »).

Sinon, sur le plan administratif, cela impliquerait aussi un reciblage des prestations ajoutées, pas nécessairement simplificateur par rapport à la situation actuelle, d’autant que la gouvernance devrait probablement être modifiée, avec des organismes, comme la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV), partageant la responsabilité pour chaque allocation complète (socle + prestation ajoutée).

(spa) Un premier rapport du député Christophe Sirugue en 2013 avait conduit à la création de la prime d’activité.

1.5. La SEPARATION des ALLOCATIONS-CHOMAGE et des ALLOCATIONS de SOLIDARITE PRONEE par le MEDEF

Le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), engagé dans de difficiles négociations sur l’assurance-chômage à la fin de 2018 et au début de 2019 a fait feu de tout bois pour lancer des propositions, et à son tour, celle de fusion d’allocations sociales.

L’indemnisation du chômage reposerait sur « une allocation universelle forfaitaire financée par la CSG, gérée par l’Etat, qui intégrerait l’ASS et potentiellement d’autres minima sociaux. Ensuite, un régime assurantiel complémentaire obligatoire, géré par les partenaires sociaux comme c’est le cas pour les retraites complémentaires, financé par les cotisations des entreprises ».

Le montant maximal de l’allocation de solidarité spécifique (ASS), versée aux chômeurs ayant épuisé leurs droits au chômage (ARE…), 494,4 € pour 30 jours pour une personne seule sous 659,2 € de ressources propres, est assez proche du montant forfaitaire du RSA(-socle). Mais une part dégressive peut être perçue jusqu’à 1153,6 € de revenus mensuels propres (décembre 2018), ce qui la distingue radicalement du RSA(-socle). Elle peut cependant être cumulée avec la prime d’activité. Elle est gérée par Pôle-emploi et les conditions d’activité antérieure et de recherche d’emploi ne peuvent pas non plus être transposées au RSA(-socle), qui est un revenu d’assistance.

Le comptage des durées de travail et de chômage est cruciale dans le système actuel, non seulement pour le calcul de l’allocation de retour à l’emploi (ARE), mais aussi pour déterminer l’accès aux droits et leur durée. La proposition du MEDEF d’instaurer un système dual constitué d’une allocation quasi-forfaitaire, gérée par l’État, et de droits superposés gérés par les partenaires sociaux, qui se présentait comme une idée simple, supposerait donc au contraire une circulation d’informations à la fois très sophistiquée et d’une fiabilité exceptionnelle entre les différentes institutions, rejoignant la problématique des transitions entre situations qui traverse le présentarticle.

A moins que l’État ne systématise les versements d’une « allocation forfaitaire », en vérifiant des conditions équivalentes à la prime d’activité (critères de revenus…) et non plus liées aux durées d’activité antérieures. Mais cela serait contradictoire avec sa volonté de limiter les contrats courts. De plus, tous les paiements effectués par l’État dans le cadre de l’« allocation forfaitaire » devraient être communiqués à l’Unédic (chargée de la gestion de l’assurance-chômage), pour qu’elle procède à ses propres calculs, en intégrant alors les durées de travail qui seraient déclarées par les employeurs ou salariés. L’Unédic serait aussi probablement à nouveau dissociée de Pôle-emploipuisqu’ellen’aurait pas de légitimité pour s’occuper de l’accompagnement et du placement des demandeurs d’emploi, sur lequel l’État chercherait à garder le contrôle.

Par rapport au système antérieur géré par les partenaires sociaux, cela ressemblerait à un mécanisme bien connu en économie de privatisation des bénéfices (le régime assurantiel) et de mutualisation des pertes (l’ « allocation universelle forfaitaire » financée par un supplément de CSG, ne manquant pas de susciter l’ire des contribuables). Le MEDEF ne l’aurait d’ailleurs probablement pas proposé si la partie des recettes de l’assurance-chômage issue des cotisations salariales n’avait été transférée sur la CSG. Les entreprises ne veulent s’occuper que des gagnants de la société, en particulier issus des catégories en ascension. A partir de cet éclatement du système, il serait aussi possible d’envisager des assurances privées pour la couverture des risques de chômage, qui seraient sous-traitées par les partenaires sociaux, comme c’est le cas pour les couvertures-maladies complémentaires.

Quand cela a été proposé, il s’agissait peut-être aussi d’un « échange de bons procédés » vis à vis de l’État, alors que le MEDEF a beaucoup critiqué la nouvelle charge incombant aux entreprises dans le cadre de la mise en place du prélèvement de l’impôt sur le revenu à la source, en vigueur à partir du 1er janvier 2019.

II. Les « REVENU MINIMUM » INCONDITIONNELS

2.1. Le « REVENU MINIMUM UNIQUE » de l’OBSERVATOIRE des INEGALITES

Dans une note publiée en juillet 2019, l’Observatoire des inégalités proposait de « remplacer l’ensemble des minima sociaux par un revenu minimum unique (RMU) d’un montant d’au moins 860 euros mensuels pour une personne seule, soit l’équivalent du seuil actuel de pauvreté à 50 % du niveau de vie médian (donnée 2016) ».

Mais ces montants étant déjà atteints ou même un peu dépassés pour l’allocation aux adultes handicapés (AAH) – 860 € par mois à partir de novembre 2018, 900 € prévu à partir de novembre 2019 – et l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) – 868 € par mois au 1er janvier 2019, 903 € prévu au 1er janvier 2020, le changement consisterait surtout en une augmentation du RSA(-socle) et de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) pour les chômeurs en fin de droits, mais en intégrant les allocations complémentaires : allocations-logement, allocations familiales, « sauf quand cela conduirait à un niveau de vie inférieur » (notamment pour les allocataires de l’AAH et de l’ASPA).

2 autres aspects essentiels caractériseraient ce « RMU »:

* il serait étendu aux jeunes de 18 à 25 ans

* il n’aurait « qu’ » un objectif de lutte contre la pauvreté, et non pas d’incitation au travail, au contraire de la proposition de l’IPP ou des discours du pouvoir exécutif français. La prime d’activité n’était d’ailleurs pas mentionnée.

L’adaptation des montants à la composition familiale passerait par les unités de consommation, par exemple 860 + (860 x 0,5) = 1290 € pour un couple sans enfant.

En matière de conditions, l’Observatoire des inégalités ne semblait cependant prendre en compte que les revenus et la composition familiale, alors que le présent article met l’accent sur le lien indéfectible entre justice sociale et prise en compte de l’ensemble des ressources, comme pour le seul RSA(-socle) aujourd’hui.

Le coût de la réforme était estimé à 7 Md€. L’Observatoire des inégalités a décomposé les 5 millions de ménages vivant sous le seuil de pauvreté (à 50 % du niveau de vie médian) selon le type de ménage. Pour chaque type de ménage (et le nombre d’unités de consommation correspondant), le nombre était multiplié par l’écart entre le « RMU » tel que calculé ci-dessus et le niveau de vie moyen.

Toutefois, en l’absence de données plus précises, l’écart pour une personne seule servait de référence : pour celles qui percevaient moins de 860 € par mois, le niveau de vie moyen estimé était de 710 €, soit un écart de 150 € par mois x 12 = 1 800 € par an. Cet écart était donc multiplié par le nombre d’unités de consommation moyen correspondant au type de ménage. Par exemple, « Le coût total est de 1,3 milliard d’euros pour 438 000 familles monoparentales. ».

2.2. Le « REVENU MINIMUM SOCIAL GARANTI » du CONSEIL ECONOMIQUE, SOCIAL et ENVIRONNEMENTAL (CESE)

Le CESE a proposé dans un avis de juin 2019 déjà cité la substitution d’un « revenu minimum social garanti »à plusieurs allocations minimales:

* RSA(-socle), allocation de solidarité spécifique (ASS)

* allocation aux adultes handicapés (AAH)

* allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA)

* allocation supplémentaire d’invalidité (ASI)

* allocation veuvage

* allocation supplémentaire vieillesse

Il serait aussi ouvert aux jeunes à partir de 18 ans, s’ils sont sans emploi, ni en formation.

Le principe serait le même que pour le « RMU » de l’Observatoire des inégalités : « personne en France ne devrait vivre avec moins de 50% du revenu médian ».

Mais, c’était une grande différence par rapport au « RMU » de l’Observatoire des inégalités présenté ci-dessus, allocations-logement et allocations familiales n’y seraient pas intégrées, l’« axe horizontal » étant donc privilégié.

Notons que la prime d’activité n’était pas mentionnée non plus. Le CESE allait même plus loin : « La persistance d’un chômage de masse en France empêche d’envisager une sortie de la pauvreté par l’emploi comme solution unique. Cette situation ne permet pas de penser que le travail comme contrepartie aux aides sociales soit une solution réaliste. ».

III. Les « IMPÔT NEGATIF » dans le CADRE d’une REFORME FISCALE

3.1. L’ « IMPÔT JUSTE » de Pierre-Alain MUET

Jean-Marc Ayrault, ex-Premier ministre de mai 2012 à mars 2014, et Pierre-Alain Muet, économiste et ex-député du Parti socialiste, ont proposé en 2015 que la part de la prime d’activité liée au revenu individuel soit versée sous forme d’une réduction automatique et dégressive de CSG jusqu’à 1,3 SMIC, avec régularisation éventuelle au moment de la déclaration d’impôt sur le revenu (IR) si le revenu de référence le justifiait.

P.-A. Muet a étoffé cette proposition, notamment dans un livre où il exposait trois scénarios pour un revenu universel. Mais il envisageait en fait une réforme fiscale globale, qui pourrait commencer par rendre la CSG dégressive sous 1,4 SMIC (1685 € en février 2019), ce qui la rendrait donc progressive. En effet, la CSG est appliquée à la plupart des revenus et elle est proportionnelle aujourd’hui (avec des taux différents selon quelques catégories de revenus : activité, retraites…). Rappelons que le gouvernement actuel préfère la réduction des taux des premières tranches d’impôt sur le revenu.

Pour opérer la fusion du RSA(-socle) et de la prime d’activité dans un impôt sur le revenu qui comporterait une part « négative », c’est-à-dire une part de subvention et non de prélèvement, P.-A. Muet prenait pour hypothèse que la prime d’activité s’appuie sur le RSA(-socle) et qu’elle était imposée à hauteur de 38 % (39 % en février 2019).

Afin de respecter la structure actuelle de l’impôt sur le revenu, dont le taux de la première tranche est de 14 %, un premier scénario consisterait à appliquer un taux de 40 % (plutôt que les 38/39 % de la prime d’activité) sur la part des revenus d’activité jusqu’à 1,4 SMIC. P.-A. Muet ne fournissait pas de formule de calcul, mais il semble que le « revenu universel », correspondant au montant forfaitaire du RSA(-socle), serait soustrait de ce nouvel IR+CSG dus sur tous les revenus d’activité et de remplacement (maladie, retraites…), et que le différentiel serait reversé automatiquement au contribuable s’il était négatif (cas où le « revenu universel » serait supérieur à l’IR+CSG)

Dans un second scénario, le taux d’imposition sur les revenus d’activité jusqu’à 2 SMICserait ramené à 33 % pour adoucir la pente de progressivité.

Le 3ème scénario supposerait que le « revenu universel » atteigne 600 € et non plus le montant forfaitaire du RSA(-socle).

P.-A. Muet éludait donc la bonification individuelle composant aujourd’hui la prime d’activité, ne prenait en compte que les revenus imposables et écartait toute autre condition d’accès aux allocations, par exemple de patrimoine, ce qui constituait une injustice. Ces deux derniers points étaient d’ailleurs des aspects communs avec les options de l’IPP.

Même si les quotients familiaux servant à pondérer l’IR (une part supplémentaire pour le conjoint) et au contraire majorer le RSA(-socle) (une demi-part pour le conjoint) sont différents aujourd’hui, ce que critique P.-A. Muet, renoncer à la prise en compte des ressources du foyer pour attribuer une allocation de solidarité ou un « impôt négatif » constituerait une autre injustice. Mais elle était censée en compenser une autre : l’avantage dont bénéficient les couples mariés et pacsés, proportionnellement plus nombreux parmi les plus aisés, dans le cadre de la « familialisation » ou de la « conjugalisation » de l’impôt sur le revenu par rapport à son « individualisation ». D’ailleurs, le prélèvement à la source donne le choix du mode d’imposition.

On peut de surcroît se demander pourquoi sont mis en avant la fusion du RSA(-socle) et de la prime d’activité dans le cadre d’une réforme fiscale d’ampleur portant aussi sur la fusion de l’IR et de la CSG, aux montants et enjeux bien plus considérables, respectivement 70,4 et 128 Md€ prévus en 2019, sinon comme un galop d’essai. Mais il est vraisemblable que la fusion de l’IR et de la CSG ne verra pas le jour, constituant un rideau de fumée, la réforme s’arrêtant à celle du RSA(-socle) et de la prime d’activité, perdant alors toute consistance par rapport à un projet global de refonte de la fiscalité, qui n’aura servi qu’à légitimer la première.

3.2. Le « LIBER » de « GENERATION LIBRE »

Génération libre est un club de réflexion d’obédience « libérale ». Le « revenu universel d’existence », appelé « liber », qu’il proposait dans une étude de 2014 serait un crédit d’impôt financé par un impôt proportionnel sur tous les revenus dès le premier euro (comme celui de P.-A. Muet sur ce point), se substituant à l’impôt sur le revenu, la CSG, et même l’impôt sur les sociétés. Le « liber », de montant fixe, serait déduit de cet impôt de 23 %.

Pour la partie sur la pauvreté, qui apparaissait surtout comme un prétexte à une révolution fiscale « libérale » – ce qui étaitaussi illustré dans l’étude par les digressions sur la lisibilité des bulletins de paie – les raisons invoquées étaient les « classiques »  des « réformateurs bien intentionnés »: « échec du système socio-fiscal à lutter contre la pauvreté », non-recours élevé, « illisibilité »

Linsincérité de l’objectif revendiqué « d’éradiquer la grande pauvreté » transparaissait cependant dans le montant du « liber » de 480 € proposé au moment de la rédaction du rapport, en 2014, soit inférieur au seul montant du RSA(-socle) de l’époque, 499 € pour une personne seule, alors que le « Liber » prétendait remplacer de nombreuses prestations sociales dont le « RSA », mais sur un « axe horizontal » il est vrai, en perpétuant notamment le cumul avec les allocations-logement. Ce rapport encourait de surcroît les mêmes critiques que les propositions de P.-A. Muet.

Gaspard Koenig, l’un des auteurs, avait cependant raison de dénoncer l’absurde suppression d’un minimum vital et incompressible en cas de défaut de « démarches actives », mais si la contrainte passe par une pauvreté monétaire accrue, elle est plus violente, perverse et irrémédiable. Sous un angle plus « philosophique », l’État (et la société) ne doit pas renoncer à toute responsabilité de réinsertion professionnelle et d’intégration par l’activité vis à vis de ses citoyens ou même accepter leur abandon. Les soi-disant « confiance » [qui leur serait faite par la société], « créativité », « débrouillardise »…, ne sont que des mots creux pour des gens exclus du marché du travail, qui n’ont justement pas su « se débrouiller », et qui aimeraient souvent retrouver une activité professionnelle, à l’exception de ceux qui se satisfont de cette exclusion et de quelques personnalités effectivement très créatives.

Sans faire de mauvais procès, on ne peut aussi éviter de rappeler que le « libéralisme économique » n’est pas toujours associé au « libéralisme politique ». De la part d’une famille de pensée proche sur le plan économique, à la puissance médiatique considérable, on entend ressasser des appels à la baisse des dépenses publiques d’ordre obsessionnel, associée à la sanctuarisation d’un domaine « régalien » (police, justice, défense…), qui rappellent la profonde connivence du « libéralisme économique » avec l’autoritarisme politique, comme en témoigne un nouvel exemple latino-américain, après les élections au Brésil en 2018 et la nomination de Paulo Guedes à la tête du Ministère de l’économie, évoquant les « Chicago boys » de la dictature chilienne des années 1970. A la différence de « Génération libre » et de G. Koenig, cette famille représente bien un visage de l’extrême-droite partisane du libéralisme économique.

(exdl) On définit précisément l’extrême-droite « libérale » comme une école de pensée prônant le « libéralisme économique » au prix d’une forte hiérarchisation de la société reposant sur des critères économiques et sociaux. Une telle vision, éventuellement désinvolte, comporte en fait une probabilité élevée de mise en place d’un régime politique autoritaire pour éteindre la contestation née d’une pauvreté accrue. Mais l’extrême-droite « libérale » s’accommode aussi fort bien des restrictions de libertés dont elle n’est pas l’objet (voir par exemple « 1.1. Le « crédit universel » au Royaume-uni »). Ce mode de pensée ne recoupe pas nécessairement les clivages politiques habituels.

BIBLIOGRAPHIE

INTRODUCTION

## « Revenu de base: simulations en vue d’’une expérimentation », Institut des politiques publiques (IPP), n° 18, juin 2018

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 1.2.1. L’importance des bases-ressources pour la justice sociale »,  Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 2.3. FUSION du RSA-SOCLE, de la PRIME d’ACTIVITE et des ALLOCATIONS-LOGEMENT », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

## « Comité interministériel du handicap – dossier de presse », Service de presse, Premier ministre, 25/10/18

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 1.1.1. RSA-socle et prime d’activité divergent à plusieurs égards »,  Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

I. Les TENTATIVES de FUSION d’ALLOCATIONS SOCIALES pour « REVALORISER le TRAVAIL »

1.1. Le « CREDIT UNIVERSEL » au ROYAUME-UNI

## « Universal credit », gov.uk

## « Repenser les minima sociaux – Vers une couverture socle commune », Christophe Sirugue (député), Clément Cadoret (inspecteur des affaires sociales), Sébastien Grobon (administrateur INSEE), rapport au Premier Ministre, 04/2016

## « Estimating the Early Labour Market Impacts of Universal Credit », Department for work & pensions (Ministère du travail et des retraites), 12/2015

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 1.1. RSA-SOCLE et PRIME d’ACTIVITE », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

## « Peut-on cumuler le RSA avec d’autres aides sociales (ASS ou Aspa) ? », service-public.fr

## « Universal credit is in ‘total disarray’, says Labour », theguardian.com, 15/09/17

## « Amber Rudd warns of further delays to universal credit », theguardian.com, 19/12/18

## « Universal credit scores lowest for satisfaction in benefits survey », theguardian.com, 11/02/19

## « Claimant Service and Experience Survey 2017/18 », Department for work & pensions (Ministère du travail et des retraites), 31/07/19

## « Les réformes du marché du travail au Royaume-Uni », Institut Montaigne, 28/04/16

1.2. Les SCENARIOS RESTREINTS de l’INSTITUT des POLITIQUES PUBLIQUES (IPP)

## « Revenu de base: simulations en vue d’’une expérimentation », Institut des politiques publiques (IPP), n° 18, juin 2018

1.2.1. Le scénario de référence pour le « revenu de base » de l’IPP

1.2.1.1. Les paramètres du « revenu de base »

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 1.1. RSA-SOCLE et PRIME d’ACTIVITE », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

## « Tout comprendre sur le revenu de solidarité active », caf.fr

1.2.1.2. Les effets prévus du « revenu de base »

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 3.1. Les DEPENSES de LUTTE contre la PAUVRETE », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

1.2.1.3. Le souhait de corriger une distorsion entre locataires et non-locataires

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 1.1. RSA-SOCLE et PRIME d’ACTIVITE », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 1.2.1. L’importance des bases-ressources pour la justice sociale »,  Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

## « Comment le revenu universel d’activité doit inciter les Français à travailler », lesechos.fr, 22/06/19

1.2.2. L’intégration des aides au logement au « revenu de base »

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 2.3. FUSION du RSA-SOCLE, de la PRIME d’ACTIVITE et des ALLOCATIONS-LOGEMENT », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

## « Zonage A, B, C », ecologie.gouv.fr, 24/04/15

## « Tout comprendre sur le revenu de solidarité active », caf.fr

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 2.3. FUSION du RSA-SOCLE, de la PRIME d’ACTIVITE et des ALLOCATIONS-LOGEMENT », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

## « Comment le revenu universel d’activité doit inciter les Français à travailler », lesechos.fr, 22/06/19

1.3. Les TRANSFERTS CHIFFRéS mais OCCULTéS de FRANCE STRATEGIE

## « Allocation sociale unique : qui seraient les perdants et les gagnants ? », lemonde.fr, 2/08/18

## « Budget 2019 : quels effets pour les ménages ? », Institut des politiques publiques, 01/2019

1.4. Les BOUQUETS de COMPLEMENTS SPECIFIQUES du DEPUTE SIRUGUE

## « Repenser les minima sociaux – Vers une couverture socle commune », Christophe Sirugue (député), Clément Cadoret (inspecteur des affaires sociales), Sébastien Grobon (administrateur INSEE), rapport au Premier Ministre, 04/2016

## « La juste prestation – pour des prestations et un accompagnement ajustés », Christine Cloarec-Le Nabour, (députée), Julien Damon (professeur), rapport au Premier Ministre, 09/2018

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 1.3.2. Le non-recours », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

1.5. La SEPARATION des ALLOCATIONS-CHOMAGE et des ALLOCATIONS de SOLIDARITE PRONEE par le MEDEF

## « Assurance chômage : « Il faut changer radicalement les règles pour inciter à la reprise d’emploi », lesechos.fr, 2/09/18

## « Repenser les minima sociaux – Vers une couverture socle commune », Christophe Sirugue (député), Clément Cadoret (inspecteur des affaires sociales), Sébastien Grobon (administrateur INSEE), rapport au Premier Ministre, 04/2016

## « Repères sur l’assurance-chômage – Situations avant et après le début de l’indemnisation chômage », Unédic, 03/2019

## « Transformer l’assurance-chômage et l’accompagnement des chômeurs », Dossier de presse, Ministère du travail, 18/06/19

## « Projet de loi de finances pour 2018 – Rapport économique, social et financier », Direction du budget

## « De quoi l’ « égalité des chances » est-elle le…non, trop facile », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 16/06/22

II. Les « REVENU MINIMUM » INCONDITIONNELS

2.1. Le « REVENU MINIMUM UNIQUE » de l’OBSERVATOIRE des INEGALITES

## « Pour la création d’un revenu minimum unique », Noam Leandri et Louis Maurin, Observatoire des inégalités, 5/07/19

## « Projet de loi de finances pour 2018 », assemblee-nationale.fr, 27/09/17

## « Projet de loi de finances pour 2019 », assemblee-nationale.fr, 24/09/18

2.2. Le « REVENU MINIMUM SOCIAL GARANTI » du CONSEIL ECONOMIQUE, SOCIAL et ENVIRONNEMENTAL (CESE)

## « Eradiquer la grande pauvreté à l’horizon 2030 », Marie-Hélène Boidin Dubrule, Stéphane Junique, Conseil économique, social et environnemental (CESE), 06/2019

III. Les « IMPÔT NEGATIF » dans le CADRE d’une REFORME FISCALE

3.1. L’ « IMPÔT JUSTE » de Pierre-Alain MUET

## « Pour un impôt juste prélevé à la source », Jean-Marc Ayrault, Pierre-Alain Muet, Fondation Jean Jaurès, 27/08/15

## « Un impôt juste, c’est possible ! », Pierre-Alain Muet, Seuil, 4/10/18

## « Baisse de l’impôt sur le revenu en 2020 : La Direction générale des Finances publiques vous informe de l’application des nouveaux taux de prélèvement à la source », economie.gouv.fr, 2/12/19

## « Décret n° 2018-836 du 3 octobre 2018 portant revalorisation du montant forfaitaire de la prime d’activité et réduction de l’abattement appliqué aux revenus professionnels », legifrance.gouv.fr

## « Réforme des aides sociales en France – 1ère partie (2018-2019) – 1.2.1. L’importance des bases-ressources pour la justice sociale », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 23/07/19

## « France, portrait social, édition 2019 », INSEE, 19/11/19

## « Le budget de l’État voté pour 2019 », Direction du budget, 02/2019

## « Bilan des relations financières entre l’État et la Sécurité sociale – 2019 » Direction du budget

3.2. Le « LIBER » de « GENERATION LIBRE »

## « Liber, un revenu de liberté pour tous », Marc de Basquiat, Gaspard Koenig, Génération libre, 05/2014

## « Revenu universel : méfiez-vous des contrefaçons », Gaspard Koenig, lesechos.fr, 18/09/18

## « Chicago Boys », Wikipedia

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