INEGALITES et INTELLIGENCE ARTIFICIELLE selon le CESE

INEGALITES et INTELLIGENCE ARTIFICIELLE selon le CESE

Le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE), intitulé « Analyse de controverses : intelligence artificielle, travail et emploi », présente une vision très « syndicaliste » de l’IA qui a toute sa place dans les débats sur l’IA, mais qui pêche par sa reprise de lieux communs, peut-être aussi à cause du foisonnement des sources.

 

La grande peur des biais algorithmiques

 

Par exemple, « Pour des systèmes d’IA (SIA) équitables et impartiaux au service de la société, il faut assurer le contrôle régulier afin de prévenir et corriger les biais algorithmiques ». Une partie du rapport est consacré à cette problématique, très stéréotypée, au point qu’elle est déjà systématiquement appréhendée dans les documents publiés par les grands fournisseurs d’IA. D’ailleurs, les controverses en cours sur les politiques de « diversité » de grandes entreprises américaines en sont le reflet mais d’éventuelles remises en question n’affecteront probablement pas leur mise en œuvre dans les algorithmes d’IA, en raison des craintes qu’ils suscitent à cet égard et car cela relèverait alors du judiciaire, notamment dans le cadre de la réglementation européenne.

Toutefois, on se méprend systématiquement en France sur les « catégories [les plus] discriminées » sur le marché du travail. Selon une étude de France stratégie: « L’âge constitue ainsi, avec le sexe, le premier motif déclaré des expériences de discrimination liées au travail, loin devant l’origine ethnique par exemple ».

Il est possible d’objectiver ces discriminations, d’abord en considérant les chiffres des demandeurs d’emploi. Ainsi, leurs nombres en catégorie A s’élevaient respectivement à 447 600 pour les « moins de 25 ans », 1 718 400 pour les « 25-49 ans » et 804 800 pour les « 50 ans ou plus » en 11/2024. A comparer par exemple avec les chiffres de 01/1996 (1ère année dans le tableau de France-travail) : 701 000, 2 183 700 et 370 800. Sans mentionner précisément ceux pour les catégories B et C, les proportions étaient toutefois à peu près semblables en 11/2024. L’inversion du rapport entre « moins de 25 ans » et « 50 ans ou plus » en 30 ans peut avoir plusieurs explications, comme les réformes des retraites…, mais il témoigne que la situation des « 50 ans ou plus » s’est considérablement dégradée. Certes, il faudrait aussi prendre en compte les effectifs participant au marché du travail selon ces mêmes classes d’âge et aussi les durées de chômage respectives, dont il est cependant connu qu’elles sont plus longues pour les « 50 ans ou plus » (voir cette même étude de France-stratégie).

Il y a donc tout à craindre de démarches qui viseraient à corriger de soi-disant biais pour en accentuer d’autres. Et les auteurs d’ouvrages sur le sujet cités par le rapport du CESE n’y échappent pas, qui ne mentionnent que le sexe, l’origine, les groupes raciaux et néanmoins les handicaps.

 

La crainte du manque de compétences

 

On peut aussi lire dans le rapport: « Cependant, le manque de compétences demeure un obstacle majeur à l’adoption de l’IA par les entreprises. Ce manque de compétences est une contrainte importante à tous les niveaux de responsabilité. ».

Cette affirmation est d’autant plus spécieuse qu’il y est aussi reconnu que « l’effort de formation est bien engagé par un grand nombre d’entreprises. ».

Concernant particulièrement les spécialistes de l’IA, si l’on s’intéresse aux données factuelles plutôt qu’aux spéculations des commissions et aux déclarations des fournisseurs d’IA, l’IA est peu créatrice d’emplois (voir par exemple « Le boom des investissements dans l’IA… » ). En France, d’après le site de la Grande école du numérique (GEN), collectant les offres publiées sur les sites internet de France Travail et Carrière Informatique, il y avait 1013 offres d’emploi pour « data/big data » en juin 2024, mais seulement 641 en septembre, 99 offres d’emploi pour l’« IA/machine learning » en juin 2024, mais seulement 40 en septembre.

Parallèlement, 3170 formations étaient dédiées aux « Data/IA » (voir aussi d’autres articles sur ce site et https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/informatique-si-votre-enfant-vous-meme-faites-etudes-programmation-vous-devriez-lire-ceci-118256/).

 

L’élusion des inégalités réelles

 

Mais le principal enjeu de l’IA qui aurait pu être traité par le CESE et qui n’est abordé dans le rapport que sous l’angle du travail est celui des inégalités qu’elle va engendrer, par exemple pour l’accès aux objets connectés, tandis que la représentante de France digitale met en avant dans Le Monde la priorité des fournisseurs prosélytes : la formation pour tous. Non pas que l’acculturation à l’IA ne soit pas nécessaire, notamment à l’initiative de médiateurs du numérique, mais aborder ce sujet sous l’angle des « compétences » ne permet aucunement de faire face au défi.

D’une part, comme chacun sait, l’IA accomplira un grand nombre de taches encore dévolues aux humains, d’autre part, les besoins en spécialistes de l’IA resteront modestes, notamment en raison de l’auto-productivité. De surcroît, il est peu probable que les organisations exigent que leurs employés fournissent leurs propres dispositifs (robots, ordinateurs…). Or, pour fonctionner, les organisations ont besoin d’investir. Ce n’est donc pas tant du côté des organisations que se situe l’enjeu des inégalités engendrées par l’IA.

Par contre, pour la vie quotidienne, comment ne pas comprendre que la diffusion massive de l’IA s’opère grâce à sa facilité d’usage ? Comme d’ailleurs dans le monde du travail. Croit-on que les fournisseurs s’adresseront à de super-bricoleurs et qu’ils auront quelque succès en livrant des machines à programmer pour tous ?

Il faut surtout être totalement aveugle aux facteurs et constituants traditionnels d’inégalité, soit les niveaux de revenu et de patrimoine, dont les effets vont être décuplés avec l’IA. Ceux qui pourront se payer des robots performants, accomplissant une multitude de tâches, seront de nouveaux maîtres, tandis qu’une partie des populations des sociétés développées seront écartées de l’usage de ces machines car elles ou leur usage seront trop chers. Ces populations ne deviendront pas forcément esclaves car il n’y aura pas d’intérêt à les faire travailler, mais des citoyens d’une authentique seconde zone où de nombreux biens et services seront inaccessibles.

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