De QUOI l’ « EGALITE des CHANCES » EST-ELLE le…NON, TROP FACILE
Les économistes, qui sont aussi souvent professeurs, ont fait de l’ « éducation » leur cheval de bataille pendant la campagne présidentielle de 2022, défilant dans les médias pour marteler que les nouveaux milliards de dépenses publiques devaient y être investis. Un des buts affichés est notamment d’élever la productivité de l’économie française.
Les économistes et d’autres avaient d’ailleurs déjà été entendus puisque le « plan France 2030 », annoncé en octobre 2021, comprend 2,5 Md€ pour la formation, mais en faisant la part belle à la thématique stéréotypée du « numérique » sous ses diverses formes.
Parallèlement, un nouveau consensus s’est formé autour du slogan d’« égalité des chances », afin d’« agir efficacement sur un amont des inégalités », et de la lutte contre la « reproduction sociale ». Adopté par les économistes « libéraux » (avec quelques réserves de la part des figures tutélaires disparues), le slogan de l’« égalité des chances » séduit donc aussi les partisans d’investissements massifs dans l’éducation, que l’on trouve en particulier sur l’ « autre bord »…
Une forme d’éternel recommencement puisque l’on semble oublier que ce slogan, prôné en 2003 par le président de la République Jacques Chirac, aujourd’hui décédé, a déjà donné lieu à une loi éponyme en mars 2006.
Evidemment, il ne s’agit pas ici de défendre l’école d’avant Jules Ferry, ou même d’avant Luc Ferry, pour qui se souvient de son passage comme ministre de l’éducation nationale, mais plutôt de déjouer le carcan moral que recouvre ce slogan, ouvrant d’ailleurs la porte à quelques dérives.
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SOMMAIRE
I. Les DEPENSES PUBLIQUES d’EDUCATION en FRANCE et QUELQUES EFFETS
II. Un DISCOURS PORTE par les ELITES à l’ECHO POPULAIRE
III. Un DISCOURS BORGNE qui IGNORE le DECLASSEMENT
IV. Une MANIERE de REDUIRE les DEPENSES SOCIALES ?
V. Une IEOLOGIE SIMPLISTE vis à vis du MARCHE du TRAVAIL
VI. « EGALITE des CHANCES » = « DISCRIMINATION POSITIVE »
I. Les DEPENSES PUBLIQUES d’EDUCATION en FRANCE et QUELQUES EFFETS
Le budget de l’enseignement scolaire et supérieur (avec la recherche) est le premier poste du budget de l’État, par exemple :
* 74,4 Md€ en 2016
* 81,8 Md€ en 2020, soit 28 % du budget général
Mais la contribution du secteur public (Etat, collectivités locales…) atteignait même :
* 129 Md€ en 2017
Selon les données disponibles entre 2007 et 2017, l’évolution de ces dépenses est liée à celle des effectifs, avec une forte croissance dans l’enseignement supérieur, mais pas dans le primaire où la dépense a beaucoup cru tandis que les effectifs augmentaient très modérément, peut-être sous l’effet du slogan d’ « égalité des chances ».
Si les élites dénoncent souvent le sacrifice du futur au profit du présent (notamment en référence à la dette publique pour les plus « libérales »…), elles versent aussi volontiers dans les lendemains qui chantent, et accordent une priorité exclusive à la jeunesse – ce qui ne la rend ni moins arrogante, ni moins ségrégative que les générations antérieures (#jes).
Or, l’analyse des données montre que la dénonciation d’une régression sociale liée à un élitisme scolaire est démagogique. Selon « Regards sur l’éducation » (OCDE) :
* la part des dépenses des ménages au titre des dépenses d’établissement d’enseignement n’était que de 9 % en 2015
* le pourcentage de « 25 à 34 ans » de niveau de formation inférieur au deuxième cycle du secondaire assez inférieur à la moyenne parmi les pays de l’OCDE en 2017 (entre 10 et 15 %)
* le pourcentage de diplômés de l’enseignement supérieur, un peu supérieur à cette moyenne (environ 45 %)
De surcroît, selon l’INSEE, la part de diplômés de l’enseignement supérieur (bac+2 ou plus) en 2014-2015, était de :
* 27,4 % parmi ceux dont les parents n’avaient pas d’autre diplôme que le certificat d’études primaires ou le brevet des collèges
* 30,5 % parmi ceux dont le père était ouvrier ou employé
Il est donc ridicule de se focaliser sur quelques grandes écoles pour évaluer le progrès social et plus encore de comparer l’accès des enfants de catégories sociales à ces établissements sans tenir compte de l’évolution de ces catégories dans la population entre les périodes considérées (#cfc).
Par contre, qui trouverait à redire dans le cadre de la « stratégie de prévention et de lutte contre la pauvreté » présentée en 2018:
* au « plan de formation…pour 600 000 professionnels de la petite enfance afin de favoriser le développement de l’enfant et l’apprentissage du langage avant l’école maternelle » ?
* à la création de « 300 crèches à vocation d’insertion professionnelle » prévue entre 2019 et 2020 ?
* à « un parcours de formation garanti pour tous les jeunes » ?
(#elit) Par « élites », on entend les personnes et institutions dont les avis font autorité et qui sont largement propagés du fait de leur statut, qu’il s’agisse de politiciens, experts reconnus, économistes, médias…, en admettant qu’elles ne sont pas d’accord sur tous les sujets et que certaines ont parfois raison, mais pas quand le terme est employé dans ce document. Il ne s’agit pas d’une critique des « élites » en général ou extensible à d’autres domaines, mais leurs discours et idéologie requièrent d’autant plus l’attention qu’elles ont la capacité de mettre en place des politiques conformes à ces discours et idéologie.
(#jes) A-t-on déjà vu dans l’Histoire du capitalisme autant d’entreprises exclusivement composées de jeunes ? Mais cette réalité échappe complètement aux sociologues et économistes, comme si les images qui défilent en permanence sous leurs yeux étaient intraduisibles dans leurs schémas de pensée, uniquement réceptifs à la victimisation des jeunes. Triste modèle d’ailleurs, pour plusieurs générations, que celui du « réseau asocial » qui piège les gens dans une immense toile d’araignée avec de petits miroirs pour en tirer d’immenses profits. Oui, je sais, on va me reprocher de ne pas aimer le progrès :):):).
(#cfc) Il faudrait néanmoins comprendre pourquoi la France se classait dans le dernier tiers des pays de l’OCDE pour « La part des adultes âgés de 16 à 65 ans dont les compétences de base sont faibles », soit d’un peu plus de 20 %. Mais cela n’est peut-être déjà plus le cas en 2022.
II. Un DISCOURS PORTE par les ELITES à l’ECHO POPULAIRE
On recourt à la caution historique de Pierre Bourdieu pour condamner la « reproduction sociale », mais pour les élites, cela correspond surtout aux thèmes de la « mobilité », de l’accélération, de la disruption, des fortunes rapides…, si prisés dans les sociétés contemporaines. Or, une société très hiérarchisée dont les élites se renouvelleraient régulièrement serait évidemment pire sous l’angle social qu’une société faiblement hiérarchisée aux élites immuables, et les transformations rapides ne sont guère plus propices que l’immobilisme au progrès partagé.
Mettre tant l’accent sur l’« égalité des chances » consiste en fait à nourrir une compétition ascendante et un modèle social hiérarchisé, avec des promotions sociales servant d’alibi, une façon d’entretenir le mythe de l’ascension sociale, puissant moteur des sociétés, et finalement de soutenir la méritocratie puisque « tout le monde était égal à l’école » et que l’« égalité des chances » ne saurait par définition durer toute la vie.
Les élites font semblant de vouloir s’ouvrir et veulent faire croire qu’il y a beaucoup de places à prendre auprès d’elles (ou même de celles plus restreintes dont elles ne font pas partie), en éludant les mises à l’écart auxquelles elles ont procédé ou contribué de manière systématique. Pire encore dans l’hypocrisie, les élites voudraient faire croire qu’elles sont prêtes à inverser la hiérarchie sociale et donc qu’elles-mêmes renonceraient volontiers à leurs positions pour que la « reproduction sociale » diminue.
Le discours d’ordre symbolique sur l’« égalité des chances » a d’ailleurs d’autant plus d’importance que le chômage est élevé et traduit un échec de la formation.
Les élites voient toutefois aussi dans l’« égalité des chances » une manière de lutter contre le « populisme », ce qui est devenu un point de vue d’analyse systématique. Mais les campagnes électorales de 2022 ont révélé une fracture résurgente au sein des élites, non pas sur la question de l’« égalité des chances », mais sur des questions beaucoup plus fondamentales pour l’avenir de la France et des Français dans les domaines économique et social. Ainsi a-t-on vu des économistes de renom prendre parti pour un programme, auxquels ils ont d’ailleurs contribué, susceptible de bouleverser des équilibres politico-économiques récents, certes instables et comportant des risques élevés (financement de la dette publique, inflation incontrôlée, difficultés sociales…[#fcp]), mais aussi fragiles, au nom de lendemains qui chanteraient, en toute ignorance du réalisme.
D’autres économistes, comme Thomas Grejbine (CEPII), ont d’ailleurs répondu à leur tribune.
Ainsi, de brillantes études et des parcours académiques remarquables peuvent conduire à des thèses qualifiées de « populistes » quand elles sont exprimées par des politiciens.
[#fcp] On exclut de cette énumération les « facteurs de crise préalables » comme les pénuries de matières, qui pourraient s’accroître, mais dont la dimension causale prédomine, tandis que ceux cités sont menaçants dans la mesure où ils ont été gérés sans trop de heurts ces dernières années, par exemple le financement de la dette publique.
III. Un DISCOURS BORGNE qui IGNORE le DECLASSEMENT
Il est tout aussi aberrant de mesurer l’ascension sociale sans prendre en compte le déclassement. Mais les élites (et l’idéologie dominante) ne mettent l’accent que sur le premier aspect, peut-être car elles se sentent assez sûres de leur propre reproduction, tout en ayant besoin de la légitimer par des mouvements importants aux niveaux intermédiaires.
Une étude de France-stratégie parue en juillet 2018 a d’ailleurs confirmé que « les enfants de la classe moyenne… ont des chances d’accès comparables au haut et au bas de l’échelle des revenus » et d’après d’autres études, que « la mobilité a plutôt tendance à augmenter du fait de la massification de l’enseignement. ». Mais sur l’échantillon, dont 43 % étaient enfants d’ouvriers – est-ce représentatif ? – le risque d’appartenir à un ménage pauvre était estimé à 9 %:
* 4 % pour les enfants de cadres
* 16 % pour les enfants d’ouvriers non qualifiés
Cependant, on peut tout aussi bien mettre l’accent sur
* les 18 % d’enfants d’ouvriers composant le décile de niveau de vie le plus élevé (plus de 2950 € par mois)
* ou inversement, les 7 % d’enfants de chefs d’entreprise et cadres supérieurs dans le premier décile (moins de 1075 € par mois)
Que « les moins de 35 ans perçoivent 60 euros de moins que les plus de 35 ans. »est même stupéfiant par rapport aux représentations habituelles.
Par ailleurs, sur le plan méthodologique, l’étude ne montrait pas la relation entre origine sociale et niveau de diplôme, mais l’effet du niveau de diplôme sur les niveaux de vie selon l’origine sociale.
On peut aussi s’étonner que pour les fils de cadres:
* la proportion de ceux devenus cadres à leur tour ait baissé entre 1985 et 1993 puis entre 2003 et 2015 (49%)
► n’ait jamais dépassé 57 % depuis 1977
* 43 % aient connu un déclassement social par rapport à leur père en 2015, en hausse de 6 points par rapport à 1977
Selon le sociologue Camille Peugny dans un colloque du Conseil d’orientation des retraites, « …pour les hommes, le déclassement passe de 14 % pour la cohorte née entre 1944 et 1948 à 24 % pour celle née entre 1959 et1963, et pour les filles de 22 % à 30 %. Pour la génération née au début des années 1960, le risque de déclassement intergénérationnel concerne un quart des hommes, et un tiers des femmes. ».
L’INSEE a pour sa part mené une étude en 2022 mesurant la mobilité intergénérationnelle des revenus en France en 2018, « en reliant directement les revenus des parents à ceux de leurs enfants de 28 ans ». Si on peut s’interroger sur la pertinence d’une telle mesure à l’âge de 28 ans, certains résultats n’en sont pas moins intéressants et ne déparent pas ceux de France stratégie, bien qu’une comparaison directe entre les 2 études soit impossible:
* 12 % des enfants issus des 20 % de familles les plus modestes sont parmi les 20 % les plus aisés de leur classe d’âge
* 15 % des enfants issus des 20 % de familles les plus aisées sont parmi les 20 % les plus modestes de leur classe d’âge (mobilité très descendante)
* En moyenne, 5 déciles de la distribution des revenus des enfants séparent les 25 % des enfants les plus aisés des 25 % des enfants les plus modestes alors que les niveaux de revenu de leurs parents sont identiques
IV. Une MANIERE de REDUIRE les DEPENSES SOCIALES ?
La notion d’ « inégalités de destin » est plus ambiguë que l’« égalité des chances ». Elle peut s’y rattacher, la seconde étant censée résoudre les premières, mais elle peut indiquer plus judicieusement que les inégalités résultent aussi du destin, et ne sont pas seulement liées aux conditions socio- éducatives ou à la formation initiale, comme si le destin ne se manifestait qu’à la naissance. Elle est donc moins réductrice que l’« égalité des chances » (#ecp).
Mais reléguer les inégalités réelles au second plan présenterait aussi l’avantage pour les élites – au moins les plus « libérales » – d’envisager de moindres compensations, donc moins d’impôts, tandis que les dépenses éducatives sont sanctuarisées. C’est une forme de diversion consistant à privilégier les promesses sur les résultats, c’est-à-dire le niveau de vie (au sens large) des citoyens, et même sur les moyens, car le rêve d’une partie des élites est de substituer des dépenses supplémentaires pour l’éducation moindres que celles qui portent sur les conditions de vie réelles : « On a trop investi sur les inégalités de condition, et pas assez sur les inégalités d’accès », entend-on en boucle dans les médias.
Le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) le formule d’ailleurs de manière explicite et pseudo-scientifique : « …on sait que la redistribution s’accompagne nécessairement d’inefficience économique, et que ces freins sont à la hauteur de l’amplitude de la redistribution effectuée. Tout en réduisant les écarts de revenus, les aides monétaires, tout comme la fiscalité, pénalisent le travail et la prise de risque à tous les niveaux de l’échelle de revenus… ».
Le véritable enjeu est bien là : investir dans la formation et l’ « égalité des chances » pour que les individus ne puissent rien réclamer ensuite, ayant été dotés d’une sorte de viatique mystificateur (#ref). Selon Stéphanie Stantcheva, économiste à Harvard: « si des personnes pensent que la mobilité sociale est forte, alors l’acceptation des inégalités de revenus est aussi plus forte ».
Une autre étude de France-Stratégie illustre à merveille cette idéologie des élites: « …réduire le poids structurel des dépenses publiques de 3 points de PIB en cinq ans. Y parvenir sans toucher ni au social ni au régalien supposerait de ramener toutes les autres dépenses à un niveau inférieur à celui observé dans les pays d’Europe occidentale— un objectif peu réaliste. En revanche, on peut imaginer un scénario plus équilibré, avec même une légère augmentation du poids des dépenses d’éducation… Ce scénario suppose de gros efforts hors sphère sociale), mais aussi des efforts plus mesurés dans la sphère sociale (prestations sociales en espèces — y compris retraites —, accueil et aide aux personnes). ».
Le déplacement de la critique des inégalités sociales vers celles de capital culturel est donc devenu très prisé, mais il apparaît surtout comme un argument pour contrebalancer les dépenses sociales. D’ailleurs, cette survalorisation du capital culturel est en fait métaphorique dès lors que sa finalité implicite est l’accumulation de capital financier.
En fait, en complément, ou même par contraste avec l’« égalité des chances », il faut continuer à « réduire les inégalités entre les places – soit les écarts entre les positions sociales ». Selon David Guilbaud, « C’est parce que les places dans la société sont aussi inégalement valorisées que le résultat du « jeu » scolaire et social est si déterminant pour l’existence des individus. Là où les places sont moins inégales, l’enjeu scolaire n’a plus la même importance….l’égalité des places est d’autant plus importante qu’elle est une condition de l’égalité des chances ».
(#ecp) Selon Natacha Polony, « La notion [d’« égalité des chances »] est problématique. La chance est par essence ce qui nous rend inégaux, puisqu’elle ne se contrôle pas et n’échoit pas à tous. ».
(#ref) En reconnaissant cependant que le document du MEDEF, par exemple, note aussi que « la France se distingue par la difficulté qu’ont les personnes à changer de voie ou à rebondir professionnellement après un échec » et met l’accent sur la formation continue, et même l’insertion des demandeurs d’emploi.
V. Une IEOLOGIE SIMPLISTE vis à vis du MARCHE du TRAVAIL
La structure socio-économique d’un pays, même si elle n’est pas immuable, est déterminante par rapport aux besoins de formation et il est par exemple paradoxal de prédire une économie où les emplois de services faiblement qualifiés tiendraient une large place, parallèlement à la promotion l’ « égalité des chances ». Surtout si ces emplois sont encouragés à travers toute une batterie de mesures sur le marché du travail. Comme si le déclassement était en quelque sorte l’horizon majoritaire dès lors qu’on a échoué alors que tous les moyens étaient déployés pour « réussir ».
D’autre part, un minimum de notions d’économie suggère que le renforcement de l’évaluation des formations, notamment sous le critère de l’insertion professionnelle des étudiants, qui contribuerait donc à concentrer les flux d’étudiants dans des filières « adaptées aux marché du travail », ne permet pas de s’abstraire de lois tendancielles de décroissance de la « rentabilité » desdites formations et filières, sauf à croire que les marchés correspondants sont infiniment extensibles.
Ce serait aussi une erreur de croire que l’économie de la France serait viable en se spécialisant sur quelques secteurs-clés car elle serait ainsi bien intégrée à la mondialisation, d’autant que tous les pays avancés se positionnent aussi sur les mêmes, par exemple le « numérique », bien que des spécialisations y soient possibles, comme l’indiquent les axes qui l’englobent du « plan France 2030 ».
Si les entreprises ont en fait des intérêts divergents en matière d’attractivité des ressources humaines, elles partagent toutefois celui de garantir leur volume de ressources « jeunes » alors qu’elles ne veulent pas garder les travailleurs plus âgés.
En complément, ou même par contraste avec l’« égalité des chances », il faut promouvoir la formation continue : « Le fait de savoir que l’on aura plusieurs possibilités de se former et de faire valoir ses qualités permettrait de réduire l’importance donnée à la formation scolaire et réduirait l’intensité de la compétition. C’est là un enjeu central pour réduire les inégalités : plus la compétition scolaire est élevée, plus elle bénéficie aux élèves issus de milieux sociaux favorisés… ».
Si l’accès à la formation continue a été facilité par des réformes récentes, les plus disqualifiés sur le marché du travail n’y ont toujours pas droit avec la même autonomie, en particulier les chômeurs de longue durée, dont le « compte personnel de formation » n’est pas crédité puisque ce compte est alimenté en euros par l’activité professionnelle.
VI. « EGALITE des CHANCES » = « DISCRIMINATION POSITIVE »
C’est un paradoxe qu’une expression contenant le mot « égalité » donne en fait lieu à des actions qui relèvent d’une autre expression contenant le mot « discrimination ». Mais c’est bien ce qui s’est passé à travers le glissement d’une responsabilité sociale et environnementale des organisations, toutefois embryonnaire au début des années 2000, à leur engagement « sociétal » au début des années 2020.
Si ce terme ne figure pas a priori expressément dans la loi (#cel), les recommandations gouvernementales le suggèrent à travers les thèmes censés constituer le « social » : « droits de l’homme », « engagement citoyen », « ressources humaines et climat social », « partage de la valeur », « égalité femmes-hommes », « handicap ». Non que ces thèmes ne soient respectables et ne doivent être appréhendés, mais la dimension sociale est restreinte, à la différence de clauses sociales par exemple.
Surtout, c’est bien le seul angle « sociétal » qu’ont retenu une ribambelle d’associations militantes et d’entreprises, multipliant les chartes discriminatoires (quotas…) pour affirmer leurs valeurs mondialistes.
On découvre ainsi que dans certains secteurs, qui se plaignent de difficultés de recrutement, on sélectionne au contraire selon des critères « sociétaux », annihilant la véracité de ces difficultés. Cette adhésion témoigne d’une sorte de personnalisation des entreprises de plus en plus tournées vers leur « bien-être » et leur bonne conscience, se développant en mode clanique (notamment selon des critères d’âge et d’expériences communes). Les « personnes morales » deviennent « morales » comme des personnes physiques, en récupérant des « causes » dans l’air du temps, mais comme une conséquence de leur négligence sociale et une compensation de leurs compromissions géopolitiques, jusqu’à l’une des plus puissantes d’entre elles. Il faudra peut-être bientôt partager les valeurs « sociétales » des entreprises pour y travailler (et pourquoi pas celles des organismes publics pour bénéficier d’aides sociales), sachant qu’elles sont principalement définies par les « classes mondialisées » et que les employés eux-mêmes deviennent aussi des militants du « politiquement correct ».
Une société contemporaine aux valeurs égalitaires mais pratiquant une discrimination massive, car elle ne parvient pas à gérer de concert croissance économique, croissance démographique et progrès social de la population, a aussi besoin d’en masquer les critères et donc de multiplier les signes d’inclusion vis à vis de ceux qui en étaient traditionnellement victimes et constituent des catégories en ascension, ascension qu’on légitime en accentuant leur victimisation.
Si on réduit arbitrairement la population des candidats pour des embauches ou promotions en fonction de critères « sociétaux », et qu’ils peuvent ainsi échapper à une discrimination généralisée en servant donc d’alibi, comme le font par exemple les entreprises qui recrutent majoritairement des femmes car elles veulent « se féminiser » ou exclusivement des jeunes car elles ne veulent pas vieillir, se plaindre de pénuries relève de la mauvaise foi et même de la tartuferie.
(#cel) Ces critiques ne portent pas sur la possibilité pour une société de spécifier dans ses statuts une « raison d’être » et les enjeux sociaux et environnementaux de son activité, selon l’article 169 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises, bien que des aspects « sociétaux » puissent aussi y figurer.
(#cmo) La notion de « classes mondialisées » est un peu floue et requerrait de plus amples investigations (voir aussi (#elit) sur les « élites »). Le pluriel en reflète la diversité, et l’ « isation », le processus de conversion plutôt qu’une situation installée, comme ce serait plus le cas pour « élites mondiales » ou « bourgeoisie internationale ». Cette appartenance floue suppose cependant des ressources permettant d’accomplir leur vocation fondamentale qui est de s’inscrire dans des flux internationaux, que ce soit pour des raisons professionnelles ou personnelles (jusqu’au tourisme compulsif). On pourrait chercher à les caractériser plus précisément, par exemple par des allers et retours fréquents (avec leurs coûts environnementaux) ou des séjours réguliers de plus de trois mois à l’étranger, mais c’est surtout la dimension idéologique qui les caractérise.
Richard Florida a donné une définition plus extensive et documentée de la « classe créative », soit une version séduisante et folklorique, mais finalement ambiguë, sachant que des flux internes aux Etats-unis et les modes de vie associés peuvent traduire la même déliaison que ceux opérés à l’échelle internationale.
INTRODUCTION
## « France 2030 | Appel à manifestations d’intérêt « compétences et métiers d’avenir » », gouvernement.fr, 24/05/22
## « Perspectives discordantes sur le marché du travail du « numérique », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 20/04/22
## « Education : Chirac s’implique dans le débat sur l’école et calme le jeu sur l’université », lesechos.fr, 21/11/03
## « Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances », legifrance.gouv.fr, 12/02/08
I. Les DEPENSES PUBLIQUES d’EDUCATION en FRANCE et QUELQUES EFFETS
## «Les données de la performance Les données de la performance 2017 – Missions du budget général de l’État – Résultats de l’année 2016 », Direction du budget
## « Les données de la performance – Missions du budget général de l’État – Résultats de l’année 2020 », Direction du budget
## « Près de 155 milliards d’euros consacrés à l’éducation en 2017 », Note d’information n° 18.29, Ministère de l’éducation nationale, 11/2018
## « L’éducation nationale en chiffres », Ministère de l’éducation nationale, 2021
## « Regards sur l’éducation 2018 », Les indicateurs de l’OCDE
## « France, portrait social, édition 2019 », INSEE, 19/11/19
## « Démagogie française et grandes écoles », Jean-Charles Colombot, Le cercle-Les Echos, 19/01/10
## « La formation des demandeurs d’emplois », Cour des comptes, 05/2018
## « Avis n° 150 sur le projet de loi de finances pour 2019 – Tome VII : Solidarité, insertion et égalité des chances », Philippe Mouiller, Commission des affaires sociales, Sénat, 22/11/18
II. Un DISCOURS privilégié PORTE par les ELITES à l’ECHO POPULAIRE
## « La méritocratie est la « bonne conscience des gagnants du système » », entretien avec David Guilbaud, lemonde.fr, 5/02/19
## « L’appel d’économistes en faveur du programme de la Nupes aux législatives », lejdd.fr, 9/06/22
## « Voulue comme sociale, la politique de la Nupes pourrait aboutir à des conséquences antisociales », Thomas Grejbine, lejdd.fr, 10/06/22
III. Un DISCOURS BORGNE qui IGNORE le DECLASSEMENT
## « Nés sous la même étoile ? Origine sociale et niveau de vie », France stratégie, n° 68, juillet 2018
## « France, portrait social, édition 2019 », INSEE, 19/11/19
## « Les rapports entre générations », Colloque du 4 décembre 2018, Conseil d’orientation des retraites (COR)
## « Une nouvelle mesure de la mobilité intergénérationnelle des revenus en France », INSEE, 18/05/22
IV. Une MANIERE de REDUIRE les DEPENSES SOCIALES ?
## « Ce que cache le débat sur l’égalité des chances », Natacha Polony, Marianne, 7/01/06
## « Inégalités : comment réparer l’ascenseur social en France ? », Jean-Baptiste Danet, Jean-Hervé Lorenzi, MEDEF, 08/2019
## « En France, le manque de mobilité sociale est plus problématique que les inégalités de revenus », lesechos.fr, 7/06/19
## « Où réduire le poids de la dépense publique ? », n° 74, France stratégie, 01/2019
## « Comment échapper à l’illusion de la méritocratie », David Guilbaud, Observatoire des inégalités, 28/05/19
V. Une IEOLOGIE SIMPLISTE vis à vis du MARCHE du TRAVAIL
## « Service public: se réinventer pour mieux servir – Action publique 2022 », Le comité d’action publique 2022, juin 2018
## « France 2030 : un plan d’investissement pour la France de demain », gouvernement.fr, 25/05/22
## « L’emploi des seniors », Conseil économique, social et environnemental (CESE), 25/04/18
## « La réforme de la formation professionnelle en 7 points clés », opco2i.fr, 2018
VI. « EGALITE des CHANCES » = « DISCRIMINATION POSITIVE »
## « Les sociétés du SBF 120 peu sensibilisées au reporting social et environnemental », lesechos.fr, 21/11/03
## « Je publie les données ESG de mon entreprise », impact.gouv.fr, 2022
## « Guide sur les aspects sociaux de la commande publique », Ministère du travail, Ministère de l’économie et d es finances, Ministère de l’action et des comptes publics, 07/2018
## « Parité : 69 start-up de la French Tech signent un pacte », lesechos.fr, 6/06/22
## « Perspectives discordantes sur le marché du travail du « numérique », Jean-Charles Colombot, numsoc.fr, 20/04/22
## « Amazon, obligé de coopérer avec le gouvernement chinois », digitechnologie.com, 11/01/22
## « Creative class », Richard Florida, Wikipedia, 2002