La FRANCE N’ATTIRE-T-ELLE PAS ASSEZ les « TALENTS » ?

La FRANCE N’ATTIRE-T-ELLE PAS ASSEZ les « TALENTS » ?

Les commentaires dans les médias portant sur le « Global talent competitiveness index » de l’INSEAD n’en ont retenu que les positions de la France pour l’attraction et la rétention des « talents », relançant les polémiques sur l’immigration pendant que le parlement légifère à ce sujet. Mais ce sont en effet 2 « volets » sur 6 d’un rapport lui-même passablement biaisé.

I) Je reprends ici un commentaire du rapport de 2021, publié dans cet article, « Immigration « qualifiée » : et si on reprenait un peu de consensus ? » : « la note du CAE s’appuie sur un classement de l’INSEAD, une école de management international. Mais elle n’explique pas que, parmi les les 4 premiers du classement, le premier pays, la Suisse avait un taux de chômage de 2,5 % en octobre 2021, qu’il atteignait à Singapour un pic de 3 % en 2020 sur la décennie, qu’il était redescendu à 4,6 % aux Etats-unis en octobre 2021 (avec toutefois beaucoup de biais) et qu’il tournait autour des 4 % au Danemark au 2ème trimestre 2021. Il ne faudrait quand même pas laisser entendre que l’immigration professionnelle est le moteur de l’emploi dans un pays plutôt que l’inverse. ».

On peut ajouter que les 3ème et 1ère places de la Suisse pour « Attirer » et « Retenir » dans le classement 2023 [p. 29] s’expliquent peut-être par des salaires élevés et/ou un déficit de main d’oeuvre locale.

II) 2.1) Comme il est indiqué dans le rapport, « Il y a 2 inconvénients à utiliser des indicateurs [69] dans un indice [dont le « Global talent competition index », qui les embrasse tous, où la France est classée 19ème] : des doutes sur la méthode pour dériver un score unique et le risque de dédoubler des indicateurs ».

Mais la sélection d’indicateurs reconnus et transparents sur leur méthodologie, provenant d’autres organismes, ne suffit pas à résoudre le problème de soupage. Parmi les 69 indicateurs : « stabilité politique », « taille du marché du cloud / PIB »[p. 287…]. Pas très éclairant pour la moindre politique publique…ou stratégie privée.

2.2) 4 « piliers » : « Stimuler » (« réglementation », « marché du travail »…), « Attirer » (intégration dans les flux financiers mondiaux, « stock d’immigrés », « tolérance des minorités »…), « Cultiver » (dépenses d’enseignement supérieur, « usage des réseaux sociaux »…), « Retenir » (protection sociale, nombre de médecins…) sont censés déterminer 2 piliers résultants (« output ») : « Compétences professionnelles et techniques » (« Productivité du travail », « Employabilité »…) et « Compétences et savoirs généraux » (« Compétences digitales », « Exportations à forte valeur ajoutée »…). Il y a même des tableaux avec des ratios « input » / « output ». Les maths mènent à tout, direz-vous.

2.3) La France serait donc 25ème sur 134 pour « Attirer ». Mais malgré sa 7ème position pour « Cultiver », étrangement équivalente à celle de son PIB 2022 :), qui est certainement plus importante par rapport aux critères sous-jacents, où l’on trouve aussi la formation continue, l’enseignement des affaires…, l’orientation de l’étude la place aux 25ème et 21ème pour le « résultat » (« output ») , soit les « Compétences professionnelles et techniques » et « Compétences et savoirs généraux » [p. 29].

On peut sourire de la recommandation : « Une plus grande inclusion sociale améliorerait sa performance dans le pilier d’ouverture interne et ainsi stimuler celle du pilier Attirer… ». Ce n’est peut-être pas le but ultime de l’« inclusion sociale » en fait.

2.4) On peut soupçonner que les 4 piliers des données d’entrée (« input ») jouent un rôle dans le classement vis à vis des 2 « piliers » « Compétences professionnelles et techniques » et « Compétences et savoirs généraux » et recommander de se référer à des travaux plus « indépendants » sur ces 2 aspects.

De manière générale, les classements par pays ou groupes de pays vis à vis de l’un ou plusieurs de ces « piliers » [p. 35] présentent beaucoup moins d’intérêt que des classements vis à vis d’indicateurs clairs et plus précis, quitte à perdre en approximation stratosphérique. Il faut même aller chercher le tableau de la corrélation entre les domaines (« Employabilité », « Régulation »…) et les « piliers », ou plus bas encore dans la hiérarchie, [p. 47…] pour mesurer légèrement mieux ce qui est en jeu. Mais aplanir la pyramide révèle le fatras.

2.5). Il y a néanmoins des monographies par pays vis à vis des 69 indicateurs (ou plus). Par exemple pour la France dans « Attirer », « stock de migrants » : note : 62,13, rang : 36 ; « tolérance des minorités » : note : 31,91, rang : 83 ; et dans « Compétences et savoirs généraux », « développement logiciel » : note : 83,56 , rang : 24 ; …[p. 111]. Autant interroger chatGPT.

En fait, chaque indicateur mériterait une ou plusieurs études en soi, bien que de telles études aient pu être à l’origine de la note et du rang de (chaque ?) pays. C’est cela qu’il faudrait pouvoir apprécier, c’est-à-dire que l’INSEAD ouvre toutes ses sources. Mais il s’agit en fait surtout de composition d’indicateurs émanant d’autres organismes, d’enquêtes auprès de dirigeants (18 indicateurs) etc [p. 287].

III) Dans cette étude, des données manquent cruellement pour étayer ses thèses, en particulier celles sur l’immigration, l’emploi des immigrés etc.…

Par exemple, le nombre d’étudiants étrangers est passé de 290 470 en 2019-2020 à 365 000 en 2020-2021.

L’immigration de travail* a représenté 54 000 personnes en 2022, « un niveau jamais vu depuis les années 1960 ».

Selon Didier Leschi, directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration : « En Europe comme en France, il n’y a jamais eu autant d’immigrés*. Bien plus, en pourcentage, qu’il n’y en a en Afrique, en Asie, ou encore en Amérique latine. Pour ne prendre que deux exemples, depuis le début du XXIᵉ siècle, nous sommes passés, en France, de 7 % à plus de 10 % d’immigrés, progression il est vrai moindre que celle qu’a connue la Suède, de 10 % à 20 %. ». Mais la Suède n’est que 9ème dans l’index global de l’INSEAD.

Si on remonte un peu plus dans le passé ou si on recoupe avec d’autres données récentes, n’ont cessé d’augmenter:

* la population immigrée* depuis 1946

* la part de la population immigrée* dans la population totale depuis 1946 (hormis le plateau de 1975 à 2000),

* le solde migratoire* de 2009 (132 000) à 2014 (194 000), puis en 2016 et 2018 (222 000), avec une baisse en 2019 (182 000) pour remonter jusqu’à 2021 (201 000) (données de l’INSEE de 2006 à 2021)

* les 1ers titres de séjour* de 2018 (267 421) à 2022 (316 174), hormis les années 2020 et 2021 en raison de la pandémie

* le stock de titres et documents provisoires de séjour* de 2018 (3,23 millions) à 2022 (3,83 millions) (données du Ministère de l’intérieur)

 

L’étude de l’INSEAD est donc un bel exercice formel. Pas étonnant si vous êtes déjà passés à autre chose.

* Ressortissants de pays extra-UE

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